Hier matin, notre commandant,
Nous a dit que le bâtiment
S'en allait partir à la guerre :
Par la présente votre fieu
S'en vient vous dire son adieu,
Bonne Grand'Mère ! |
J'aurais bien voulu, core un coup,
Mettre mes bras à votre cou,
Tout comme au temps de mon enfance :
Mais, l'un et l'autre, oublions pas
Qu'à-présent votre petit gâs
Est à la France ! |
Paraît qu'on va voir les Chinois;
J'espère ben qu'avant six mois
Ils seront battus par les nôtres !
Si l'on débarque, faudra voir :
Je saurai faire mon devoir.
Comme les autres ! |
Je veux être le mieux noté
Pour m'en revenir breveté,
Peut-être même quartier-maître !
Avec mes galons frais cousus...
Je rirais si vous n'alliez plus
Me reconnaître ! |
Si je meurs ? dam ! faut tout prévoir ! ?
Vous prierez pour moi, chaque soir,
Madame la Vierge Marie :
Dites-vous, dans votre chagrin,
Que je suis mort, en bon marin,
Pour la Patrie ! |
Voici qu'on sonne le départ !...
Embrassez, tout doux, de ma part,
Celle... à qui, chaque jour, je pense;
Qu'elle me conserve son cœur :
Il sera, si je suis vainqueur,
Ma récompense ! |
Adieu ! Pour de bon cette fois...
D'autant que, vraiment, je ne vois
Plus rien autre chose à vous mettre...
Votre Yvon, élève gabier,
Qui, sans finir de vous aimer,
Finit sa lettre !" |