L'horloge de Grand'Mère
18..
aroles et musique de Théodore Botrel
Éditeur : Beauchemin, Montréal (Chansons de Botrel pour l'école et le foyer) - 1903

Paroles
C'est une horloge en châtaignier,
Au long coffre à la mode antique,
Que dut longuement travailler
Quelque Michel-Ange rustique |
Au bas, le sonneur de biniou
Fait face au sonneur de bombarde,
Durant qu'au fronton un hibou
De ses grands yeux ronds vous regarde. |
Oh ! combien cela me charmait,
Quand j'étais tout petit, de suivre
La mort des Heures, que rythmait
L'énorme balancier de cuivre; |
Car vraiment, lorsque près d'un seuil,
On contemple une Horloge-close,
Elle a tout l'air d'un long cercueil
Où le Temps, qui n'est plus, repose ! |
***
La première Heure que chanta
L'Horloge de sa Voix profonde
Fut celle où grand'maman jeta
Son premier cri dans ce bas-monde, |
Et ce fut ce Dong ! éclatant
De demi-heure en demi-heure
Qui régla, dès lors, chaque instant
De ta vie, ô Toi que je pleure ! |
Dong ! Dong ! elle sonnait ainsi
Et l'heure grave et l'Heure folle,
L'Heure des jeux et l'Heure aussi
Où partait l'enfant pour l'école ; |
Dong ! Dong ! le moment du Réveil,
Puis l'Heure où l'on se met à table;
Dong ! Dong ! le moment du Sommeil
Quand passe le Jeteur de sable; |
Dong ! Dong ! l'heure où, pour le Saint-Lieu;
On part, en bande, le Dimanche;
L'Heure où, pour recevoir son Dieu,
Plus tard, on met sa robe blanche; |
Dong ! Dong ! la prime-aube du jour
Où l'on va travailler la Terre,
Et puis l'Heure où gémit d'amour
Le cœur las d'être solitaire ! |
Dong ! Dong ! les instants si joyeux
Où les petits gâs apparaissent;
L'Heure digne où s'en vont les vieux
Pour faire place à ceux qui naissent ! |
***
... Et la Femme en âge avançait,
Devenait Maman, puis Grand'Mère...
Et l'Horloge aussi vieillissait
À tant sonner l'Heure éphémère; |
Et Grand'Maman allait, venait
Chaque jour de plus en plus frêle...
Et l'Horloge sonnait, sonnait,
D'une voix de plus en plus grêle... |
Quand de Grand'Maman la raison
Sembla, pour toujours, endormie
L'Horloge à travers la maison,
Sonna l'heure pour le demie; |
Et Grand'Maman, dans son lit-clos,
Agonisa, puis se tint coîte...
Et ce furent de longs sanglots
Que pleura l'Horloge en sa boîte; |
Enfin, dans le lit, un soupir...
Et le grand balancier de cuivre
S'arrêta d'aller et venir
Quand Grand'Maman cessa de vivre... |
Et Grand'Mère auprès des Élus
Est montée avec allégresse...
Et l'Horloge ne sonne plus;
Elle est morte aussi de vieillesse, |
Morte à jamais ! C'est vainement
Qu'un grave horloger l'interroge :
C'était le cœur de Grand'Maman
Qui battait dans la vieille Horloge ! |

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