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La Bolduc

LA BOLDUC

Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959

Du même auteur :

Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé

TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959

Préface de Doris Lussier

LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)

Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182


Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs


Chapitre VII - Dans l'escalier, Monsieur Bolduc

1907-1914.

Années de travail.

Mary Travers est devenue Montréalaise,

Années sans histoire, où les changements de place, les changements de patron prennent figure de faits importants. Passer d'une maison canadienne française à une maison juive devient un événement extraordinaire. Les premiers jours. Et puis après, on s'habitue. À la fin, on travaille indifféremment pour les uns et pour les autres. Sans compter que cela permet de faire des comparaisons.

Mary a des amies, domestiques comme elle ou ouvrières dans des manufactures de robes. On parle, on parle, on lit les annonces "filles demandées" dans La Presse. Un jour, sur la foi d'une petite annonce et avec l'encouragement d'une amie, Mary décide de changer de travail : elle entre dans une manufacture de robes.

Maintenant elle vit en chambre.

Après quelque temps, pour augmenter ses revenus, elle loue une machine à coudre et fait du travail à la maison le soir.

Un surcroît de travail n'est pas pour faire peur à cette Gaspésienne de santé robuste. Et le matin, quand elle descend l'escalier de sa maison de chambre, en route pour l'atelier, personne, en la voyant, ne pourrait dire que ses heures de sommeil sont sérieusement rognées depuis quelque temps.

Au contraire, un type rencontré dans l'escalier a remarqué sa frimousse délurée.

Quand Mary descend, le matin, lui, il monte.

Elle va travailler, il en revient.

Elle vient de se lever, il va se coucher.

Je monte, tu descends, tu descends, je monte, ça ne facilite pas la connaissance, encore moins la conversation.

Pourtant, un jour on se salue.

Une autre fois, on se parle. L'habitude est vite prise. Celui qui montait pendant que Mary descendait, c'était un ouvrier en plomberie du nom d'Edouard Bolduc.

Mary joue de la musique à bouche, Edouard joue du violon. Aussi bien en jouer ensemble. Pourquoi pas ?

Le mariage eut lieu le 17 août 1914, quelques jours après la déclaration de ce qui allait être la première Grande Guerre.

Chapitre VIII - Les soirées du bon vieux temps

1927-1933.

Années du début de la crise. La famille Bolduc habite rue Panet. Les enfants se suivent au rythme d'un par année.

La crise. Tout le monde en souffre, les ouvriers peut-être encore un peu plus. Par malheur, Edouard Bolduc tombe malade.

Un chômeur de plus.

La vie continue. Montréal grandit. Le cinéma parlant s'installe ; les automobiles ont passé l'âge critique de l'enfance, - une Plymouth sedan quatre portes et "trois fenêtres" se vend sept cent trente-cinq dollars, une Chevrolet-six, six cent trente-cinq dollars, les magazines s'appellent : La Revue Populaire. Mon Magazine, Jovette Bernier publie des poèmes : Les Masques Déchirés, Rex Desmarchais, un roman : L'initiatrice, Claude Robillard, un roman aussi, intitulé : Dilettante.

La radio prend de plus en plus d'importance, les disques sont toujours en vogue. Columbia annonce des enregistrements électriques appelés Viva-Tonal des artistes suivants : Armand Gauthier, basse, Alexandre Bédard, chanteur comique, Alexandre Desmarteau, diseur et chanteur comique, Charles Marchand, folkloriste, Ovila Légaré et Gaston Saint-Jacques, chanteurs comiques, Willie Ringuette, violoniste, Henri Lacroix, musique à bouche. Charles Marchand chante Les noms canadiens et Bing sur la rim.

Sur disques Victor, on retrouve Ernest Arsenault, Donat Brunet, Ernest Nantel, John Lagacé et Conrad Gauthier. Des titres : Reel de la Poune, Les bégayeux, Le muet musicien, Nos bons domestiques, etc...

Retenons surtout le nom de Conrad Gauthier, car c'est avec lui que Madame Bolduc va faire ses premières armes.

Conrad Gauthier dirigeait les Soirées du Bon Vieux Temps. Ce genre de soirée "artistique" est passé de mode. Tant mieux ou tant pis, c'est difficile à dire ; ce serait plutôt aux folkloristes de décider si ces manifestations avaient quelque valeur vraie.

De toute façon, ces "soirées" ont disparu. Pour donner une idée de ce qu'elles étaient au juste, nous extrayons quelques lignes d'un communiqué paru dans La Presse, décembre 1928, pour annoncer un de ces galas soi-disant folkloriques. La manchette du communiqué se lit comme suit : "Le Réveillon de Noël va être un régal artistique." En sous-titre : "Le programme réserve des surprises aux amateurs des choses de chez nous."

Voici quelques lignes du communiqué :

"Le programme qui sera interprété par nos meilleurs artistes du terroir sous la direction de M. Conrad Gauthier, lundi soir au Monument National, promet d'être des plus intéressants. Cette Soirée du Bon Vieux Temps donnée gracieusement par nos folkloristes au profit de l'Association du Bien-Être de la Jeunesse constituera une excellente préparation aux Fêtes de Noël et du Nouvel An en faisant revivre sous les yeux des spectateurs des coutumes partout en vogue il n'y a pas longtemps et qui s'étaient transmises de génération en génération depuis la fondation du Canada.

"Le spectacle commencera par la Messe de minuit, suivie du Réveillon, de danses anciennes et de vieilles chansons."

Suit la liste des interprètes. Lisons-la attentivement.

"Les interprètes seront MM. Conrad Gauthier, Hector Charland, Alfred Amirault, Mlles Albertine Martin, Valentine Aubé et Béatrice Lapierre-Latour qui seront accompagnés de M. David Lavoie, violoneux ; Mlle Stella Charron, chanteuse ; M. Gustave Doiron, danseur ; Mme Edouard Bolduc, violoneuse et joueuse de guimbarde; M. J. E. Michaud, chanteur ; les jeunes Gauvreau et Brûlé, joueurs de musique à bouche ; M. Alfred Montmarquette, joueur d'accordéon ; M. Adélard Saint-Jean, joueur d'os ; M. Riendeau, joueur de "fifre" ; les petits Jean et Cécile Gauthier, chanteurs, et autres... On peut se procurer des billets..."

Madame Bolduc, on l'a vu, avait donc commencé de se produire sur les scènes montréalaises. Mais écoutons parler les filles sur les débuts de leur mère.

(Conversation - enregistrée au magnétophone - de l'auteur, avec Mesdames Ouellette et Lefrançois, deux des filles de Madame Bolduc.)

- Maman a commencé à chanter en 1927. Elle avait environ 33 ans.

- Est-ce qu'elle ne chantait pas avant ?

- Oh oui, mais à la maison seulement, pour ses enfants.

- Quel genre de chansons ?

- Quand on était tout petits, elle nous chantait surtout des mélodies irlandaises comme Mary Hubbard Went to the Cupboard ; on était bien jeunes ; elle chantait aussi Dickory Dickory Duck ; ah puis aussi Rock-a-By-baby.... Des fois, elle prenait son violon, puis jouait de la valse. Vous auriez juré que c'était de la cornemuse...

- À part les chansons irlandaises est-ce qu'elle chantait autre chose ?

- Ah oui, plus tard, mais c'était pas des vraies chansons...

- Vous rappelez-vous ce que c'était ?

- C'était des airs qu'elle inventait elle-même. Elle turlutait ces airs-là. Après, elle prenait son violon et les jouait dessus.

- Elle ne chantait jamais, en soirée, par exemple ?

- Quand il venait de la visite, ils faisaient des soirées de chez nous. Les Gaspésiens de Montréal, c'était pas mal leur refuge chez nous... chez nous, c'était la maison des Gaspésiens. Alors maman sortait le violon et jouait.

- Elle jouait quoi ?

- Ses airs à elle.

- Elle ne chantait jamais ?

-Non, non, elle jouait seulement du violon et ses airs elle. Elle ne chantait que pour la maison.

- Des airs sans parole ?

- Sans parole.

- Un jour elle a bien commencé à mettre des paroles sur ses airs ?

- Ça a débuté... voici... un soir il y avait de la visite à la maison, il y avait un Monsieur Doiron qui était engagé dans ce temps-là par Conrad Gauthier. Gustave Doiron était danseur de gigues. Très bon, d'ailleurs. Conrad Gauthier avait besoin de quelqu'un pour jouer du violon dans ses soirées du bon vieux temps, un violoneux. Monsieur Doiron en avait parlé à Conrad Gauthier, puis celui-ci avait demandé à maman d'aller jouer un soir. Ça n'était pas dans son idée, papa non plus d'ailleurs, et puis maman n'avait pas le temps, elle avait sa famille. Un soir, elle a donc remplacé le violoneux en question et ça a tellement pris que la soirée suivante du bon vieux temps, Conrad Gauthier lui a demandé de se représenter à nouveau... Un soir, entre autres, elle avait fait un petit refrain ; Il y a longtemps que je couche par terre. Elle l'a chanté, seulement le refrain, il n'y avait pas de couplet... elle a eu tellement de succès qu'elle a été obligée de le répéter quatre fois... c'est après cela que Conrad Gauthier lui a dit : "composez donc quelque chose, Madame Bolduc".

- Et qu'est-ce qu'elle a fait ?

- J'ai oublié de vous dire que Maman_ avait déjà fait des disques de violon. Elle jouait de la bombarde aussi, sans parler de la musique à bouche... Elle avait fait des disques avec Ovila Légaré. Lui chantait, elle, l'accompagnait...

- Mais les chansons...

- Oui... un jour après le petit succès qu'elle avait remporté au Monument National, elle était en train de faire des confitures. Elle s'est mise à turluter comme elle faisait tout le temps, puis l'inspiration est venue, elle a fait sa première chanson, tout d'une traite. C'était La cuisinière :

Je vas vous dire quelques mots
D'une belle cuisinière
Elle soigne ses troupeaux
Comme une belle bergère
Pas bien loin dans les environs
On voira passer des garçons
Des grands et des petits
Des gros et des courts
Des noirs et des blonds
Hourra pour la cuisînîère !

Il se présente un amoureux
Avec de belles manières
Il était si gracieux
En faisant sa prière
Son petit coeur débat pour le mien
Pis le mien pour le sien
Pis le tien pour le mien
Pis le mien pour le tien.
Hourrah pour la cuisinière !

- Qu'est-ce qu'elle a fait avec cette première chanson ?

- Elle connaissait le directeur de la Compagnie Compo, Monsieur Beaudry. Elle est allée le voir et lui a dit : "Monsieur Beaudry, voulez-vous s'il vous plaît m'enregistrer cette chanson-là. je pense que ça va prendre." Monsieur Beaudry lui dit : "Pauvre Madame Bolduc, nos tablettes sont pleines de disques non vendus ; les chanteurs de genre, ça ne prend pas du tout". Vous comprenez, c'était la crise, les gens n'avaient pas d'argent pour s'acheter des disques. Quand même, maman lui a dit : "En tous les cas, essayez donc, si ça prend, vous me paierez, si ça prend pas, on laissera faire". Eh bien ils ont fait la chanson. Papa rappelait des souvenirs la semaine dernière et il nous disait qu'il s'était vendu de dix à douze mille disques en un rien de temps. A la compagnie, ils travaillaient jusqu'à trois heures du matin à la production... Chez Archambault, il y avait foule à la porte, surtout, vous savez, que dans ce temps-là les magasins avaient des haut-parleurs qui donnaient sur la rue... la police était obligée de faire circuler les gens, ça ne s'était jamais vu...

- Et après...

- Ils ont fait signer un contrat à maman, et après cela elle a fait La servante.

Et voilà comment Madame Bolduc en est venue à enregistrer ses premiers disques. Heureusement nous avons un peu plus de détails sur les premiers essais d'enregistrement de notre chanteuse. Henri Letondal qui vint connaître et à apprécier Madame Bolduc nous les fournit lui-même dans un article qu'il écrivit dans Radio-Monde quelques jours après la mort de la chanteuse, en février 1941, Laissons-lui la parole :

"Les temps étaient difficiles et pour subvenir aux besoins de sa petite famille Mme Bolduc alla chanter ses propres chansons sur la scène du Monument National. Elle était fort timide à cette époque, et tremblait de peur avant d'entrer en scène. Le succès fut tellement étourdissant qu'une compagnie de phonographe APEX (autrefois Compo) lui offrit d'enregistrer quelques unes de ses chansons.

"Mme Bolduc aimait elle-même raconter cette expérience du disque, qui prouve bien à quel point elle était destinée à briser tous les records. Une dizaine de disques avaient été essayés, mais sans résultat, car la chanteuse éprouvait un trac fou et gâtait chaque surface (la cire) par des hésitations et des fautes de mémoire.

"Il ne restait plus qu'une seule surface et le gérant de la compagnie allait abandonner la partie quand Mme Bolduc finit par enregistrer sa chanson sans faire d'erreur. Personne ne croyait au succès de cette chanson et le gérant lui-même ne songeait pas à recommencer une autre séance d'enregistrement. Le mois suivant, la compagnie avait vendu dix mille disques de Mme Bolduc et les demandes affluaient de partout. Vite le gérant s'empresse de faire revenir Mme Bolduc et lui offre de signer un contrat avantageux".

Madame Bolduc fut sans aucun doute un phénomène et à bien des points de vue. Mais celui qui nous intéresse le plus en ce moment, c'est celui du succès immédiat, instantané, qu'elle a connu.

Il n'y a rien de plus ingrat que le music-hall. C'est une chose généralement reconnue et généralement vraie que le succès n'arrive, en presque tous les cas, qu'après des années de travail, de luttes acharnées et d'études - théoriques ou pratiques, peu importe - des années pendant lesquelles les échecs alternent avec les victoires...

Seuls les durs, les vrais, tiennent le coup. La chance est là aussi, bien entendu, mais la chance toute seule ne fera pas un chanteur à succès d'un flemmard, d'un mou... La chance, il faut l'aider...

Madame Bolduc est un véritable phénomène du fait que, sans préparatifs véritables, sans études, sans avoir passé des années à se composer un personnage et à bien le connaître, elle est arrivée d'un coup, directement et très vite, à une popularité renversante. Et cela à une époque où la publicité n'avait pas atteint les raffinements et la dangereuse efficacité qu'on lui connaît aujourd'hui. À preuve, à ses débuts, qui furent des triomphes, les journaux et la radio ne s'occupaient pas d'elle. Aucun coup de pouce de ce côté.

La sympathie populaire lui fut acquise sans publicité... Sa publicité fut celle que lui firent les gens de la rue, dans la rue, dans les tramways, dans les cafétérias, dans les magasins de musique, dans les parties de cartes, dans les trains, dans les petits hôtels de campagne où s'arrêtent les commis-voyageurs, apportant les dernières nouvelles de la ville et d'ailleurs....

Une énorme vague de sympathie balaya toute la ville, déferlant sur les campagnes, inondant la province, de la Gaspésie à l'Abitibi. La tradition orale commençait :

"As-tu entendu la mère Bolduc ?"

"Oui, mais tu connais pas la dernière, tu sais, ça s'appelle..."

"J'ai entendu un disque d'une bonne femme, hier, en passant près d'un magasin, sais pas qui elle est, mais faut que tu entendes ça, il_ n'y a personne qui chante comme elle... c'est fou comme de la m..."

"Mais je la connais, c'est la Bolduc !"

"Monsieur, vous avez le dernier disque de Mme Bolduc ?"

"Je regrette, Madame, tous vendu... Nous en attendons cinquante..."

"Si tu vas vendre tes poules au Marché Maisonneuve, informe-toi donc, des fois que la Bolduc chanterait ce soir-la, ça vaudrait la peine de rester en ville..."

"Te souviens-tu, son père était menuisier à Newport, c'est elle, ben sûr..."

"Regarde la grosse Mary qui travaillait à la manufacture avec nous autres..."

"Achète des aiguilles, y en reste plus, si mon oncle venait à soir, on pourrait lui faire entendre des chansons de la Bolduc, y aimerait ça, je suis ben sûr..."

Et ça ne finissait plus...

Et ça n'est pas encore fini...

Vingt ans après.


 

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