La Bolduc
LA BOLDUC
Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959
Du même auteur :
Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé
TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959
Préface de Doris Lussier
LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)
Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182
Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée
en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs
Chapitre XI - La Bolduc en tournée
Devant le succès énorme des disques et des représentations théâtrales à Montréal et dans la banlieue, Madame Bolduc pensa à organiser des tournées dans la Province. C'était inévitable.
La Métropole alimente la Province. Ce qui réussit à Montréal, dans le domaine du spectacle, ne réussit pas toujours à coup sûr dans les campagnes, ce serait trop beau, mais dans le cas de Madame Bolduc, il n'y avait aucun doute que la Province marcherait, emboiterait le pas et à vive allure.
Jusqu'à sa mort, en 1941, elle visita tous les coins du Québec, de la Gaspésie à l'Abitibi, elle se rendit même très souvent en Ontario, dans les Maritimes et aux États-Unis, en Nouvelle-Angleterre, déroulant ses turlutages dans les salles paroissiales, dans les petits théâtres, n'importe où pourvu qu'on pût asseoir des gens et qu'il y eût une estrade avec un piano et assez d'espace pour installer des éléments de décor.
À cause de ces tournées, elle s'absentait trois mois sur douze.
Elle en revenait avec une grosse sacoche en cuir remplie de pièces blanches que les enfants réunis autour de la table comptaient et recomptaient dans la joie.
Ces tournées n'étaient pas une petite affaire, D'abord il fallait les préparer. Les gens du métier savent ce que c'est, mais le public ignore la plupart du temps le travail énorme qu'une tournée exige et la quantité étonnante de détails matériels à régler.
Madame Bolduc portait à la préparation de ses tournées un soin minutieux, allant elle-même, grimpée sur le toit de l'auto ou de la remorque, - poser les affiches sur les poteaux ou les murs d'immeubles, distribuer la réclame aux enfants à la sortie des écoles, louant les salles, faisant le tour des magasins pour trouver les accessoires nécessaires à la mise en scène et qui ne se trouvaient pas toujours dans les salles paroissiales, et quoi encore...
En femme qui fait bien son boulot, elle voyait à tout, ne laissant rien au hasard.
Elle voyageait presque toujours en auto, avec remorque pour les affiches, les malles à costumes, les décors, les accessoires.
La troupe comprenait, en plus de la vedette, l'aînée servant comme pianiste accompagnateur et de nombreux artistes bien connus alors du public de music-hall.
On y voyait Ti-Zouze, père et fils, la Poune, Raoul Léry, Paul Foucreau, Jean Grimaldi, Manda, Pit Bouchard, Simone de Varennes - et j'en oublie - dans des numéros de chant, de danse et dans des sketches dramatiques ou comiques.
Il semble que Madame Juliette Béliveau et Monsieur Ovila Légaré aient aussi, à l'occasion, fait partie de certains spectacles. On raconte que Madame Bolduc, avec ses six pieds [1 metre quatre-vingt-deux] et ses cent quatre-vingt livres [quatre-vingt-deux kilos], obtenait un succès boeuf et faisait se déchainer la salle par le seul fait de porter la minuscule Madame Béliveau sur son dos.
À ce sujet, rappelons que notre chanteuse était douée d'une force herculéenne. Certains acteurs de tournée auraient gardé, dans le temps, un bien mauvais souvenir de pots de "cold cream" d'une livre reçus pan ! dans l'oeil pour avoir parlé ou agi dans un sens qui ne plaisait pas particulièrement à la Patronne.
Il n'était pas rare aussi, dit-on, que d'un coup de rein elle sortit l'auto ou la remorque embourbée dans des ornières sur les mauvaises routes de campagne.
Les premiers essais de tournée eurent lieu à Hull et dans la région. La première véritable tournée dura près de six mois, pendant lesquels la troupe donna des représentations à Québec, sur la rive Sud, dans la Gaspésie, au Nouveau-Brunswick et sur la Côte Nord.
Cette tournée, cependant, n'était pas organisée par Madame Bolduc elle-même. Elle était bien la vedette de la tournée, mais toute l'affaire dépendait de Madame Caroline (Juliette Dargère) qui, à Québec, dirigeait les destinées du théâtre Arlequin. Sur l'invitation de celle-ci, Madame Bolduc se rendit à Québec. Des représentations eurent lieu à l'Arlequin, puis la troupe se mit en route.
Les acteurs, avec leurs valises, se tassèrent dans une seule voiture conduite par un chauffeur engagé spécialement pour la tournée. La petite troupe comprenait : Caroline, Madame Bolduc, Simone de Varennes, Raoul Léry et Paulo Nantel.
Madame Simone de Varennes qui fit, par hasard, la première et la dernière tournée (en Abitibi) de Madame Bolduc nous a donné de précieux renseignements sur ce genre d'activité théâtrale qui s'appelle la tournée en province, un genre un peu spécial mais qui a eu beaucoup d'importance ici et qui d'ailleurs en a encore beaucoup.
Qu'on essaie d'imaginer une tournée théâtrale dans le Québec ou n'importe où au Canada, en 1931.
Des comédiens ambulants avec pour seuls bagages leurs vêtements, leurs chansons et leurs sketches comiques ou tragiques. Roulant sur des routes poussiéreuses ou défoncées par les pluies, s'arrêtant de ville en ville, jouant le soir et repartant le lendemain matin, souvent même tout de suite après la représentation, selon la distance à parcourir.
Dans ce temps-là, on n'avait pas grands moyens de publicité ; c'est plus tard seulement que Madame Bolduc, dans ses propres tournées, pensera à coller des affiches. Le meilleur moyen de publicité, c'était encore Monsieur le curé qui annonçait la visite de la troupe, de la chaire, le dimanche précédant l'arrivée des acteurs. Au fond, cela faisait son affaire : il recevait une partie des recettes. Puis, des acteurs de Montréal et de Québec, c'est tout de même des gens avec qui on peut parler, se divertir un peu...
De véritables saltimbanques, voilà ce qu'ils étaient, vivant au jour le jour, dans l'espoir d'une bonne salle, d'un bon repas, d'une chambre d'hôtel convenable, vivant collés les uns aux autres, partageant leurs humeurs, leurs mesquineries professionnelles et personnelles, leurs joies, leurs peines, leurs déceptions. Une vie avec tour à tour des moments affreux et des moments agréables.
Pour une Gaspésienne de la Baie des Chaleurs, devenue Montréalaise, mais au fond restée et bien restée Gaspésienne, c'est-à-dire naïve et, disons-le, paysanne, c'était un changement, de vie vraiment radical. Elle s'y fera, non sans heurt, sans incident, mais elle s'y fera, acquérant son métier de semaine en semaine et s'adaptant quand même assez vite à cette nouvelle existence pour le moins inattendue.
Dans sa famille, on ne prisait pas beaucoup de la voir "monter sur les planches et courir les routes en chantant". A Matane, elle dut quitter la troupe pendant trois jours et revenir à Montréal pour calmer une voix outragée et intempestive. Avec son humeur joviale, avec sa bonne santé, elle tint bon et rejoignit la troupe.
Il y avait tout à lui apprendre, non seulement la façon de se tenir en scène, - elle était très gênée, - mais aussi la façon de s'babiller. À Edmunston, dans le Nouveau-Brunswick, on finit par la convaincre de quitter ses vêtements plutôt grossiers et de me procurer des robes qui l'avantageaient, qui allaient un peu mieux avec son rôle de vedette de la troupe. On passa de l'autre côté de la frontière, dans le Maine, à Madawaska, et elle fit peau neuve.
Dans les premières semaines de la tournée, elle allait se coucher aussitôt la représentation finie. Jaquette en tissu grossier, prière au pied du lit, puis le sommeil des bienheureux. Les camarades de la troupe, eux, s'attardaient dans le salon de l'hôtel, causaient, parlaient du lendemain, rêvaient ou pleuraient sur un petit verre réconfortant. Dans le monde entier, les acteurs mangent et boivent après la représentation, cela va de soi.
Peu à peu, notre chanteuse en vint à changer ses habitudes et finalement priser cette heure de détente avec les camarades après le spectacle A la fin de la tournée, c'était elle qui parlait le plus et se couchait la dernière. D'ailleurs, elle parlait, elle chantait, elle riait tout le temps. Elle chantait en se couchant, elle chantait en se levant. Et de bonne humeur toute la journée. Dans l'auto, sur les routes, elle chantait ou jouait de la musique à bouche sans interruption.
On m'appelle ma tante Eva
Et que j'ai le sorcier dans le çorps
Quand j'commence à turluter
Y a pu moyen de m'arrêter
A la fin de la première tournée, elle était devenue une vraie routière.
***
La plupart du temps, on donnait les spectacles dans les salles paroissiales. En 1931, sur la rive Sud, dans la Gaspésie et sur la Côte Nord, les théâtres ne se comptaient pas par dizaines.
Il arrivait même qu'il n'y eût pas de salle paroissiale. On s'arrangeait comme on pouvait, à la bonne banquette, et tout le monde repartait content. À Shelter Bay, sur la Côte Nord, dans la salle mise à leur disposition, les acteurs ne pouvaient même pas compter sur une estrade. On réunit deux tables de pool, on mit un rideau devant, et voilà, la scène était créée.
À Shelter Bay, comme à d'autres endroits, les gens apportaient leurs chaises. Même en payant un dollar d'entrée, ceux qui n'avaient pas de chaises s'assoyaient par terre. Ou bien alors, on apportait deux madriers qu'on faisait reposer sur deux chaises et cela faisait un banc pour plusieurs spectateurs.
Le spectacle était présenté par Raoul Léry. En quoi consistait-il ? Il y avait bien un peu de tout. D'abord, des petits sketches comiques : Ramasse mon vieux chapeau ; J'te parie qu't'as pas une chemise comme la mienne ; La paire de bas ; Sors les meubles, rentre les meubles. Les habitués du National, à Montréal, et de l'Arlequin, à Québec, sont familiers avec ce genre de comédies.
Caroline chantait et jouait, de même que Paulo Nantel et Simone de Varennes. Nantel chantait les succès français du jour, chansons sentimentales du genre L'épervier ; Simone de Varennes chantait Ah la jolie aventure, La petite mascotte. On donnait aussi un drame : Vieillir c'est souffrir.
Le numéro de Madame Bolduc venait à là fin, c'était le clou du spectacle. Elle chantait plusieurs de ses créations dont : Les maringouins, Ça va venir, découragez-vous pas, Le R-100, Les agents d'assurances, etc.
Madame Simone de Varennes qui a fait tant de tournées avec Madame Bolduc, a eu la gentillesse de nous envoyer de son lit d'hôpital des souvenirs de la première tournée de Madame Bolduc sur la Côte Nord. Ces lignes nous éclairant davantage sur quelques traits bien particuliers du caractère de notre chanteuse, nous sommes heureux de les publier en priant Madame de Varennes d'accepter nos remerciements les plus sincères.
"Vers le début de juillet 1931, nous étions à bord du Marco Polo en route pour la Côte Nord.
"Nous étions partis (de Matane) dans l'après-midi à la tombée de la nuit. Il y avait tellement de brouillard que nous fûmes bien vite obligés de jeter l'ancre près du phare de l'Ile aux Oeufs.
"Nous descendîmes au phare et pendant toute la soirée Madame Bolduc égaya le gardien ainsi que sa famille avec ses chansons et sa bonne humeur.
"En revenant sur le bateau, Madame Bolduc dit au capitaine Fournier qu'elle aimerait bien voir une belle tempête sur le fleuve Saint-Laurent.
"Son voeu fut exaucé le lendemain, au réveil. J'occupais la même cabine qu'elle. Le bateau roulait et tanguait tant et plus. Le capitaine nous dit plus tard qu'il n'avait pas vu une telle tempête sur le fleuve depuis des années. Madame Bolduc en voulant se lever tomba dans mon lit, sur moi ! Il fallut un autre coup de roulis pour la faire retourner dans le sien.
"Ensuite, nous étant habillées avec peine, nous descendîmes dans la salle à manger. Le "rack", pour empêcher les assiettes de se balader, était sur la table. Madame Bolduc était ravie de cette tempête, elle riait, elle s'amusait... M. Raoul Léry ne prit que quelques bouchées et quitta vivement la salle. Il ne restait bientôt à table que Paulo Nantel, Madame Bolduc et moi-même.
"Comme le capitaine m'avait avertie qu'il fallait rester au grand air pour éviter le mal de mer nous montâmes sur le pont. Mais il pleuvait. Le capitaine nous invita alors à le rejoindre au poste de timonnerie, là où il se tenait pour conduire le bateau. Madame Bolduc était plus gaie que jamais et riait des autres qui avaient le mal de mer, en disant que cela ne pouvait lui arriver à elle. A la demande du capitaine, elle sortit sa musique à bouche et se mit à chanter. Juste au moment où elle prononçait les mots de sa chanson à succès Ça va venir pis ça va venir, elle se mit à pousser tout le monde, s'éloigna en vitesse en disant : "C'est venu correct"... et elle rentra dans sa cabine d'où elle ne sortit plus de tout le voyage...
J'ai attrapé le mal de mer
Que j'en voyais pas clair.
Les poissons que j'avais mangés
En n'ont profité pour se sauver.
"Dans ce temps-là, pour avoir le droit de jouer sur la Côte Nord il fallait un permis de la compagnie de papier. Madame Bolduc descendit à terre avec M. Léry sachant bien pourtant que le permis c'était pour les femmes. (C'était en 1931). Qu'est-ce qu'elle a bien fait à terre, je l'ignore mais elle réussit à nous faire admettre.
"Les bûcherons descendaient du bois ; aussitôt après notre départ le bateau repartit donc pour Sept-I1es. Nous étions à Shelter Bay. De cette façon, nous avons retenu ces gens pour trois jours, il faut vous dire que nous étions au pourcentage avec la compagnie. Bref, cela arrangeait les choses pour tout le monde.
"Nous habitions à l'hôtel de la compagnie. Nous étions reçus comme des rois. Les gens du village étaient aux oiseaux. Nous changions le programme des représentations chaque soir puisque nous avions toujours le même public. Les gens de la place n'étaient pas très riches et pas très nombreux d'ailleurs, c'était surtout les bûcherons qui venaient nous voir et nous applaudir de grand coeur.
"Après les trois jours, nous devions nous rendre aux Sept-Iles, le bateau emmena donc tout le monde, c'est-à-dire les mêmes bûcherons qui avaient assisté à nos représentations. Simple coïncidence ou simple question d'argent, nul ne pouvait le dire.
"Nous finissions de faire le tour de la Gaspésie. Nous étions à Matane. Ayant appris que le Marco Polo était au large et qu'il ne pourrait accoster à cause de la marée qui était basse, Madame Bolduc décida d'aller à bord saluer le capitaine. Elle prit place dans une barque qui avait déjà à son bord des femmes et des enfants. Le type qui conduisait la barque, distrait peut-être par la présence de Madame Bolduc, n'était pas beaucoup à son affaire, toujours est-il que notre embarcation frappa un rocher à fleur d'eau et nous voilà immobilisés entre le quai et le bateau. Minutes d'affolement, les femmes se mirent à crier, les enfants à pleurer. Du quai et du bateau on se rendit compte de notre embarras et on nous envoya de l'aide. J'essayai de calmer les gens, en attendant, mais Madame Bolduc ne faisant ni une ni deux sortit sa musique à bouche de sa bourse et debout dans la barque se mit à chanter à tue-tête. Le secours arriva enfin, et nous mîmes pied sur le Marco Polo. Madame Bolduc continua à jouer et à chanter mais elle avait des sanglots dans la voix. Il me fallut la rassurer, lui dire que le danger était disparu. Alors elle pleura quelques minutes puis repartit de plus belle à chanter.
"Durant le voyage de retour, elle se tint debout dans la barque, chantant à pleins poumons.
"Sur le quai de Matane notre mésaventure faisait déjà les frais de la conversation. Rendus au quai les gens nous entourèrent. Madame Bolduc fut acclamée et encore une fois elle dut chanter pour tous les curieux réunis sur le quai.
"Après, tout le monde reconnaissait que s'il n'y avait pas eu de panique à bord de la barque échouée sur les rochers, c'était grâce à Madame Bolduc, à ses chansons et à sa gaité."
Simone de Varennes.
***
La dernière tournée de Madame Bolduc eut pour décor l'Abitibi. La troupe du National l'accompagnait, c'est-à-dire La Poune (Mme Rose Ouellet), Mme Petry, Simone de Varennes, Paul Desmarteaux et Georges Leduc.
La chanteuse, solidement établie comme la chanteuse la plus populaire du Canada français, était toujours aussi joviale et dans la voiture elle joua de la musique à bouche jusqu'à casser les oreilles de ses camarades. Seulement elle était condamnée par les médecins ; elle le savait mais n'en parlait à personne.
Elle était devenue une vraie "professionnelle" et pour rien au monde elle n'aurait voulu manquer une représentation, une tournée. Simone de Varennes lui faisait ses pansements chaque soir et c'est avec le même dynamisme, le même entrain qu'elle poussait ses joyeux refrains pour la plus grande joie des spectateurs.
Les tournées qui lui procuraient sans doute le plus de plaisir étaient celles qui lui faisaient parcourir la Gaspésie. Sur toute la péninsule, c'était un triomphe répété de jour en jour, d'un village à l'autre. Les Gaspésiens retrouvaient une des leurs et réclamaient à grand cris "La petite Marie" devenue cette belle chanteuse imposante qui faisait parler d'elle à travers tout le pays.
Elle profitait toujours de son passage en Gaspésie pour y prendre quelques jours de repos, pour visiter ses parents vivant encore à Newport, aller en mer, pêcher la morue, et aussi, - ne perdant jamais le Nord, - pour écrire des chansons nouvelles basées sur ses expériences les plus récentes.
Dans la chanson La Gaspésienne pure laine, écrite en 1934, et manifestement pour célébrer le quatrième centenaire de l'arrivée de Jacques Cartier au Canada, son amour de la Gaspésie, son pays natal, éclate à chaque ligne.
La Gaspésie c'est mon pays, j'en suis fière, je vous le dis
C'est ici que Jacques Cartier sur nos côtes planta la croix
France, ta langue est la nôtre et on la parle comme autrefois
Si je la chante à ma façon, j'suis Gaspésienne, et j'ai ça de bon.
Je suis Gaspésienne, mes bons amis
Et quand je suis loin, je m'ennuie,
L'on voit partout sur les quais les bateaux et les filets
Qui s'en vont à la drive vers les deux heures du matin
Pour aller pêcher du squid pour la bouette du lendemain
I-youp I-youp mon gars, ça mord-tu dans ce coin-là ?
I-youp I-youp mon gars, ça mord-tu ou ça mord pas ?
Dans les familles gaspésiennes, des petits pêcheurs il y en a
On n'a pas ça à la demi-douzaine, mais deux à la fois ça finit là
Mes bons amis, j'ai cinq filles et sept petits gars
Et pour peupler le Canada les Gaspésiennes sont un peu là.
On voit que les termes utilisés par les pêcheurs lui étaient familiers. La drive, le squid, la bouette... on aura compris qu'il s'agit d'une pêche spéciale qui se fait la nuit : les pêcheurs se laissent driver, dériver et pêchent le squid, la seiche, qui constitue la bouette, c'est-à-dire les appâts pour la vraie pêche à la morue du lendemain. Nous reviendrons sur ce sujet un peu plus loin et nous verrons comment dans une autre chanson, La morue. Madame Bolduc utilise les termes de pêcheurs et de mer à la va comme ça vient, sans aucun souci d'exactitude.
Madame Bolduc fait allusion à ses tournées dans plusieurs de ses chansons. Étant allée sur la côte Nord, elle en revient avec ceci :
J'ai traversé la côte Nord
Je me suis fait brasser le corps
Comme une patate dans un sabot
Sur le bateau Marco Polo.
Et ailleurs :
Depuis l'hiver dernier
J'ai fait plusieurs comtés
J'ai chanté ici et là
Dans notre beau Canada.
Turlutage
On m'a fait passer pour morte et aussi emprisonnée
C'est que j'ai pas voulu me laisser encorner.
Et ça continue :
Ceux qui m'entendent chanter
Viennent toujours me féliciter
Me disant de faire mon chemin
Et de laisser faire les bons à rien.
Trois mois par année, elle parcourait donc une grande partie de la Province, visitait les centres canadiens-français du Nord de l'Ontario et des Maritimes et se rendait même dans les agglomérations franco-américaines de la Nouvelle Angleterre. Aux États-Unis, principalement dans le Massachussetts et dans le New Hampshire, elle était fort en demande. Les Canadiens récemment installés "aux States" lui étaient d'avance tout gagnés, et, paraît-il, bon nombre d'Américains nature se rendaient aux spectacles. Sans rien comprendre aux mots des chansons, ils se laissaient facilement prendre par le rythme endiablé dont presque toutes les chansons bolduciennes sont marquées.
Dans une chanson, Les colons canadiens, qui est loin d'être une de ses meilleures, Madame Bolduc parle de ses voyages en Ontario :
En voyageant en auto
Dans la province d'Ontério [sic]
J'ai écrit quelques refrains
Pour vous mettre le coeur en train
Laissez-moi vous dire d'abord
Que j'ai fait bien des efforts
Et en disant Kapuskassing
J'me suis mordu les babines
Et la chanson se poursuit avec une petite leçon de morale ni drôle, ni pittoresque, comme il y en a malheureusement trop dans la production de notre chanteuse.
Au cours d'une tournée en Ontario, elle arrête à Callender, village désormais célèbre où sont nées les jumelles Dionne. A ce moment, l'événement était encore tout chaud, tout neuf. Le mystérieux et le sensationnel entouraient encore le village, la maison Dionne, la famille et les cinq bébés qui n'en demandaient pas tant.
On n'était pas facilement admis à voir les enfants ou les parents. Mais Madame Bolduc n'était pas n'importe qui, son nom était un véritable passe-partout.
Madame Dionne la reçut chaleureusement, lui fit faire le tour de la maison et la rencontre des deux femmes célèbres se termina dans la joie, l'admiration mutuelle, les petits biscuits et le thé avec lait et sucre.
Notre chanteuse fit une chanson sur Les jumelles Dionne. La chanson devint très populaire, on la demandait partout, surtout dans les campagnes. Avouons franchement que la chanson des jumelles n'est pas très intéressante. On y apprend que pour la chose, les Canadiens sont un peu là, ce que nous savons tous pertinemment.
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