La Bolduc
LA BOLDUC
Auteur : Réal Benoît – Éditions de l'homme – 1959
Du même auteur :
Nézon (contes), Parizeau 1945 - épuisé
TOUS DROITS RÉSERVÉS
Copyright, Ottawa, 1959
Préface de Doris Lussier
LES ÉDITIONS DE L'HOMME (Montréal)
Distributeur exclusif :
L'Agence de Distribution Populaire Enrg.
Montréal, Québec
Tél. : Lafontaine 31182
Note : Tout comme nous l'avons fait avec les Mémoires et autres textes, voici la publication de la biographie de La Bolduc subdivisée
en chapitres tel que Réal Benoît les a subdivisés lui-même. - Les auteurs
Chapitre XVIII - Souriante caricature des années grises
Que la Bolduc ait été le chantre de son temps, personne ne peut en douter. Ses succès, sa popularité d'hier et d'aujourd'hui le disent assez bien.
Elle vivait à une période difficile, mais son succès vint de ce qu'elle fit face aux difficultés de la crise, pour elle-même et pour les gens, avec le sourire, avec une chanson sur les lèvres.
Si les bonnes gens avaient de la misère, si les gens mangeaient de la vache enragée, au moins ils pouvaient toujours chanter. Et elle donnait l'exemple.
De chaque geste, de chaque situation pénible, elle extrayait le petit trait drôle, cocasse, insolite et il n'y avait pas moyen de ne pas rire. La misère en était un peu moins grande.
Ses chansons forment une véritable chronique du temps d'avant la deuxième Grande Guerre. Le chômage, la colonisation, les touristes des USA, la prohibition, l'émancipation des jeunes filles, les coutumes des Fêtes, le règne éphémère du yo-yo, la visite du R-100, l'invention des zipper, les jumelles Dionne, la popularité croissante de l'automobile, la vogue naissante pour la Gaspésie, l'avènement des assurances, tout y passe.
Mais toujours le côté comique, ridicule des choses et des gens domine.., avec, en plus, très souvent, des petits conseils pratiques donnés oh ! bien naïvement... Car c'est la crise, l'argent est rare, les assureurs, les avocats, les médecins, les propriétaires, l'épicier, tout le monde est après vous, alors faut faire attention à ses gros sous... A l'épicerie, le commis vous contera une petite histoire pour vous distraire et pendant ce temps il changera la pesée, etc., etc.
Quand on cherche le bon marché,
C'est là qu'on se fait embêter
Su les tomates pi les puits pois
Ça donne des brûlements d'estomacs.
Su le blé dinde pi le spaghetti
On vient le coeur tout englouti.
On est mieux de payer plus cher
Pis d'avoir queq'chose qu'on digère.
A tout cela se mêle aussi un patriotisme ardent. Les Canadiens y en a pas comme eux ! Pour cultiver la terre, pour faire des enfants, pour faire la cour aux belles filles, et puis la Gaspésie est bien belle, la Province est bien belle, tout le pays est bien beau.
Son patriotisme elle l'exprima encore plus ouvertement, quoique fort naïvement, dans une chanson inspirée par la guerre et les agissements d'Hitler. Elle l'exprima, c'est une façon de parler, elle voulut plutôt l'exprimer car la chanson qu'elle composa à cet effet est restée inédite. La chanson n'a pas de titre et nous n'en possédons pas la musique, mais nous avons jugé intéressant pour nos lecteurs de publier une reproduction de l'original, écrit de la main de l'auteur. [Voir ci-contre.]
En général, les chansons d'actualité (sauf peut-être celle du R-100) et les chansons plus ou moins patriotiques ne sont pas les meilleures.
Là où elle excelle, là où elle se surpasse, c'est encore dans les chansons vraiment gratuites, avec une petite histoire sans rime ni bon sens, de son crû.
Dans ce genre, une des meilleures, à notre sens, est Chez ma tante Gervais. Cette chanson, moins connue que les autres, peut, à la rigueur, évoquer certains chants de folklore. Pour cette raison, elle se situe assez loin du plus grand nombre des chansons Bolduc. Venant, par exemple, après La Pitoune ou Le propriétaire, elle cause une véritable surprise. Jusqu'à la mélodie qui est plus soignée et plus jolie que d'habitude. Voici les paroles de Chez ma tante Gervais :
J'm'en vas vous chanter
Une chanson pour rire.
S'il y a un mot de vérité,
J'veux bien que l'on m'y pende.
Chez ma tante Gervais
Ah oui du fun il y en avait
Sur la but-but-butte
Chez ma tante Gervais
Ah oui du fun il y en avait
Turlutage
J'ai mis ma charrue sur mon dos
Mes boeufs dans ma ceinture.
Refrain et Turlutage
J'm'en fus pour labourer
Ousqu'y avait pas de terre.
Dans mon chemin j'ai rencontré
Un arbre chargé de fraises.
Je l'ai pris je l'ai secoué
Il en tomba des framboises.
Il m'en tomba une sur la grosse orteille
Qui me fit saigner l'oreille.
À travers la plante du pied
Je me voyais la cervelle.
Chez ma grand'mère y avait une poule
Qui chantait bien le coq.
Chez ma tante Gervais...
L'enregistrement que Madame Bolduc a fait de cette chanson est particulièrement réussi. On y trouve une certaine finesse qu'on ne lui reconnait pas souvent. Ici, sa voix est moins grosse et à chaque refrain elle pousse la coquetterie jusqu'à varier l'interprétation de sur la but-but-butte. Après le refrain, suit non pas le turlutage habituel, mais l'air du refrain suit simplement fredonné.
Sur l'autre face du disque de Chez ma tante Gervais, se trouve Le petit bonhomme au nez pointu qui est également assez bien réussi.
Revenons aux autres chansons, non pas celles traitant de l'actualité, mais celles qui comportent une histoire de son invention, celles où elle donne libre cours à sa verve, à sa fantaisie bien personnelle. A l'exemple des deux mentionnées précédemment, ce sont les meilleures.
Ici elle part de rien et invente. Elle fabrique les personnages, les situations, et même si les farces sont encore, très souvent, fort grosses, au moins elles ne sont pas appliquées à des personnages, à des situations que nous connaissons, et ça passe beaucoup mieux.
Dans cette catégorie se placent. Arthimise marie le bedeau, dans laquelle les éclats de rire alternent avec le turlutage ; Ce qu'il est donc slow Ti-Jos en effet il turlute tout le temps ! Si sa blonde veut l'embrasser il lui répond que son pudding va brûler, et puis...
Malgré qu'il arrive sur ses trente ans
Il joue du yoyo de temps en temps
Tout en lui faisant l'amour
Elle dit passe-le moi à mon tour
Finalement, il la demande en mariage, le grand jour arrive, mais Ti-Jos s'est pas réveillé... ce qu'il est donc slow Ti-Jos...
Dans la même veine, il y a bien aussi J'ai un bouton le bout de la langue. Le bouton l'empêche de turluter et la fait bégayer. Un turlutage sur la première syllabe de bégayer remplace ici le turlutage conventionnel. Après le bouton sur le bout de la langue c'est toutes les maladies qui y passent, décrites avec un réalisme typiquement bolducien.
Johny Monfarleau est aussi une pure invention, Johny passe dans la rue avec une punaise qui est grosse comme un veau, y a pris la peau pour s'en faire un capot... et ça continue dans le même esprit jusqu'au dernier couplet alors qu'on le retrouve en octobre dans le bois en costume de bain garni de peau de lapin, avec sa belle barbe tricotée au crochet.
Chapitre XIX - Fricassez-vous, fricassons-nous !
Si l'humour de la Bolduc est quelquefois grinçant, il n'est pas méchant. Elle rit facilement des vieux garçons, des vieilles filles, des grands bêtas d'amoureux trop gênés pour se remuer. Mais nous rions avec elle. Dans La pitoune le pauvre gars qui s'est fait piquer "à un endroit que je peux pas vous nommer"... c'est pas drôle... ça enfle mais il s'en tire avec une bonne grosse blague : à sa blonde qui est prise de panique, la pauvre, et qui s'est mise à crier elle aussi, il dit pour la rassurer : inquiétez-vous pas, y a rien de cassé... C'est rassurant, vous avouerez...
Le joueur de violon se fait mener par le bout du nez par sa vieille... qui a bien envie de lui casser son violon sur le dos, mais cela finit ainsi, dépêche-foi de commencer, je commence à fortiller.
A la maison, le travail ne manque pas, il y a toujours quelque chose à faire : la cuisine, le lavage, le raccommodage, fricassez-vous... mais arrive le mari, becs en pincette et fricassons-nous.
Ti-Jos a pas grande chance de fricasser Ernestine, il est bien trop slow. Le matin de ses noces, il oublie de se réveiller. Lorsqu'il redemande enfin Ernestine en mariage, elle est mariée depuis huit jours...
Arthimise s'en tire assez bien aussi. Puisque son promis n'arrive pas à l'église, le matin des noces, elle épousera le bedeau qui était pas si nigaud. Voilà qui est bien fait.
Madame Bolduc aime accrocher au passage, avec malice, les amoureux gênés, les garçons gauches et timides mis en face des jeunes filles. Ainsi celui qui était bien gêné mais a part ça qui était plaisant y riait tout le temps. En cours de soirée, il prend un coup de brandy, échappe son palais, en le ramassant, fend son fond de culotte, on riait comme des perdus... y'a de quoi.
Elle accable les nombreux personnages de ses chansons de ces petits malheurs anodins qui sont toujours très drôles à raconter... après. Les bonnes gens qui vont voir le fameux dirigeable R-100, bien entendu, se mettent sur leur trente-six pour aller à Saint Hubert où l'appareil est amarré. Il n'en faut pas moins pour que Tit-Noir mette sa chemise et sa culotte à l'envers, pour que la belle-mère perde son jupon, et v'la l'autre qui se mouche dedans... C'est pire !
Il y a toujours quelqu'un qui a les quatre pattes en l'air, qui perd son palais, qui a un bouton en quelque part, qui glisse sur une pelure de banane... Dans ces parages, la grosse farce abonde. Un seul exemple : encore dans la chanson du R-100, une vieille avait les yeux virés à l'envers, ça faisait un an qu'à retenait ses gaz pour l'R-100... Un ami de Saint-Hubert dit à son ami Jean : tu trouves pas qu'ça sent le hareng ?
Touchons légèrement un autre aspect de Madame Bolduc, auteur de chansons. A l'occasion, il lui est arrivé d'écrire des chansons sur commande. À notre connaissance, cela n'est pas arrivé très souvent, mais nous avons sous les yeux une espèce de dépliant publicitaire-carte de souhaits distribué aux clients par les dépositaires des bières Labbatt. À l'intérieur, nous trouvons une chanson, paroles et musique, intitulée La reine des bières. La chanson ne porte aucun nom d'auteur mais nous avons appris avec certitude que Madame Bolduc en avait été la responsable. Elle avait écrit cette chanson à la demande de la compagnie qui fêtait alors son cinquantième anniversaire de brasseur.
La chanson comprend cinq couplets. Le refrain dit : Buvons tous à notre santé, vidons, vidons nos verres,
Voici quelques-uns des couplets :
Quand on vient de se marier
On voit tout en rose
Mais la lune de miel passé
Ce n'est plus la même chose
Pour oublier nos tracas
La Labbatt est toujours là,
Voulez-vous une bonne idée
Pour calmer votre belle-mère
Ça vous sert à rien de crier
Et vous mettre en colère
La Labbatt est garantie
Pour y faire baisser les "ouïes"
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