CHAPITRES
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1 - De Blida
2 - À la conquête de Paris
3 - Les Capucines-Théâtre Isola (sic)
4 - Parisiana
5 - Olympia
6 - Folies Bergère
7 - Gaîté Lyrique
8 - Voyages pittoresques
9 - Opéra-Comique
10 - Sarah-Bernhardt
11 - Mogador
12 - Mon frère et moi
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Les frères Isola


SOUVENIRS DES FRÈRES ISOLA


Chapitre 10 - Sarah-Bernhardt

(Voir la note à la fin)

Le premier janvier 1926, les deux frères sont installés dans le fauteuil directorial du théâtre Sarah-Bernhardt, place du Châtelet, en même temps qu'ils assurent la marche triomphale des spectacles du Théâtre Mogador, dont nous parlerons au chapitre suivant.

Il fallait avoir grande confiance pour acheter le premier de ces deux établissements, reprendre 800.000 francs de décors, payer 100.000 francs de patente et 300.000 francs de loyer ; de plus, la Ville de Paris, propriétaire, exigea des preneurs l'engagement d'entreprendre 800.000 francs de travaux. Tout cela sans aucune subvention. Cette audace peut sembler excessive, car aucun théâtre ne vivrait dans ces conditions. Les frères Isola ne sousestimaient cependant pas l'importance des charges et avaient jaugé les difficultés qui les attendaient ; mais avec un beau courage qui aurait mieux mérité que le résultat atteint, ils voulaient rénover le théâtre le plus triste de Paris.

Ils s'y acharnèrent avec toutes les ressources de leur esprit d'artistes, toute l'expérience d'une longue carrière, ce got du beau et du faste avec lequel ils montèrent somptueusement tant d'oeuvres qui ont marqué une époque.

lis ont consacré des millions pour offrir au public des programmes de premier ordre, avec de splendides interprétations et produire sur ce plateau déshérité le plus possible d'auteurs.

Hélas, Sarah-Bernhardt était un gouffre où les millions succédaient aux millions et c'est ce qui explique que, malgré les succès obtenus à Mogador, les deux directeurs aient d, dix ans plus tard, se trouver dans la douloureuse et injuste obligation de déposer leur bilan.

En vertu du principe physique des vases communicants, les encaisses du Théâtre Mogador servaient aux débours du Théâtre Sarah-Bernhardt.

D'autres plus timorés auraient sans doute lâché du lest, provoqué l'amputation de l'établissement qui perdait de l'argent, pour ne garder que celui qui en gagnait, où se pressait tout Paris ; mais ces deux hommes continuèrent pour ne pas s'avouer vaincus dans l'une de leurs entreprises, pour servir encore et toujours le Théâtre auquel ils se dévouaient depuis quarante ans.

Ils gardaient tout de même l'espoir que tant d'efforts ne seraient pas vains et que la malchance finirait par se lasser.

Hélas...
Les frères Isola conservèrent comme administrateur du théâtre Sarah-Bernhardt, M. Perronnet, filleul de Sarah, qui occupait ce poste depuis vingt ans et qui fut pour eux un précieux collaborateur.

Les débuts furent heureux. Les anciens directeurs avaient monté Mon Curé chez les Riches, dont les répétitions se poursuivaient avec Cassive et Vilbert. Louise Armandine Duval, dite Armande Cassive, la Môme Crevette de La Dame de Chez Maxim's de Feydeau, qu'elle créa le 17 janvier 1899, fit valoir pendant deux ans au Théâtre Sarah-Bernhardt, dans Mon Curé chez les Riches, une gaté, une fantaisie et un abattage que nous n'avons pas retrouvés depuis.

Cassive fut une cigale qui dépensa l'argent aussi vite qu'elle le gagnait et qui, avec une souriante philosophie, quitta son somptueux appartement quand elle n'eut plus la possibilité d'en acquitter le loyer, pour louer dans le même immeuble, témoin de sa splendeur, un modeste logement sur la cour.

Il était particulièrement difficile de trouver une pièce pour succéder à celle qui venait de tenir l'affiche pendant si longtemps. Les frères Isola étaient allés voir Sacha Guitry qui, à cette époque, habitait près de la Porte Champerret, pour lui demander d'écrire une nouvelle oeuvre destinée à leur théâtre. Sacha promit, mais ne trouvant pas assez rapidement un sujet lui convenant, le projet d'une pièce nouvelle fut abandonné et les directeurs reprirent Deburau. Afin de donner plus d'importance au spectacle, André Messager composa une partition légère, frache, juvénile, brillante, pleine à la fois de science et d'esprit, et conduisit lui-même l'orchestre,

Avec Yvonne Printemps et Sacha Guitry, ce fut un régal exquis, un succès remarquable puisque les recettes quotidiennes montèrent en flèche. L'auteur, devant malheureusement partir en Amérique, on dut cesser les représentations.

La Femme Nue d'Henry Bataille, fut alors reprise avec Yvonne de Bray; puis La Griffe, L'Insoumise, de Frondaie ; et Mon Curé chez les Pauvres. Cette dernière pièce avait été montée avec l'espoir d'un succès semblable à celui de Mon Curé chez les Riches, mais on ne refait pas deux fois ces choses-là et la seconde tentative n'obtint pas la faveur du public. Les frères Isola apprenant que Maurice Lehmann allait passer L'Aiglon dont ils possédaient le privilège, au Théâtre de la Porte-Saint-Martin sans leur en avoir demandé l'autorisation, engagèrent un procès.

Après cent représentations, ils pensèrent à une combinaison possible :

Puisque Lehmann avait acheté la propriété de Cyrano de Bergerac, ils prendraient cette pièce avec les costumes existants et Romuald Joubé en tête d'affiche. L'accord se fit et le procès fut arrêté.

Un soir, bien des années avant, au cours de leur direction de La Gaîté, ils avaient parlé avec Robert de Flers et G.-A. de Caillavet, d'une pièce possible qui s'intitulerait : Les Tribulations d'un Chinois en Chine. Les deux célèbres auteurs promirent de l'écrire, mais ne parvinrent jamais à la mettre sur pied car ils étaient à ce moment très pris par Le Roi, et l'on n'en parla plus. Le hasard voulut que, plus de quinze ans après, Pierre Benoit vnt trouver les Isola et leur parlât d'une pièce que Claude Farrère écrivait sur ce sujet. Il lui fut adjoint Charles Méré, homme de théâtre, et Les Tribulations d'un Chinois en Chine fut monté luxueusement, avec des Chinois acrobates et jongleurs, dans le genre des fééries du Châtelet. Renée Devillers et Escande étaient les vedettes de ce spectacle qui, malheureusement, fit une moyenne de 5.000 francs de recettes quotidiennes, alors que les frais s'élevaient à 15.000 francs. Le public est toujours pour un directeur le grand point d'interrogation. On fait souvent pour lui de gros sacrifices en pure perte, sans qu'il semble s'en rendre compte, et parfois il se rue vers des spectacles de second ordre desquels on ne devait en toute logique escompter aucun succès. Une des plus belles oeuvres que montèrent ces deux frères auxquels le prestige de Paris doit tant, fut cette admirable Princesse lointaine d'Edmond Rostand, qui fera toujours vibrer la fibre poétique discrètement cachée au coeur de hommes. Cela ferait-il de l'argent Que leur importait ! Emile et Vincent Isola voulurent que ce ft splendide. Pour cette pièce qui n'avait pas été représentée depuis trente ans, ils dépensèrent un million, réunirent un orchestre de cinquante musiciens et engagèrent Vera Sergine. La grande presse rendit hommage au faste des directeurs et le public vint tout de même, un peu ébloui, conscient d'un magnifique effort pour atteindre uniquement la Beauté, sans se soucier du prix. Comme le critique Emile Vuillermoz demandait le lendemain de la première : Mais quel est le mécène qui a payé la mise en scène de La Princesse Lointaine Les Frères Isola répondirent spirituellement : C'est Mademoiselle Rose-Marie. Ainsi que nous l'avons expliqué au, début de ce chapitre, les bénéfices des célèbres opérettes de Mogador soldèrent les magnifiques réalisations de Sarah-Bernhardt. De même, L'Auberge du Cheval Blanc permit de présenter Les Tribulations d'un Chinois en Chine. Cette pièce cota la bagatelle de 600.000 francs. Apprenant qu'au Palais de la Méditerranée, à Nice, André Brulé et Madeleine Lély menaient au succès Tristan et Yseult, les directeurs, toujours avides de nouveau, décident de monter l'oeuvre à Paris. Le drame fut plus apprécié que la musique qui l'accompagnait, mais le résultat financier fut moins que brillant. Les frais étaient trop élevés pour une salle souvent clairsemée. Parmi les nombreuses pièces jouées sous la double direction Isola, nous ne pouvons omettre Ces Dames aux Chapeaux Verts, d'Albert Acremant, d'après le roman de Germaine Acremant, avec Falconetti et Louvigny, qui connut le plus légitime succès. Celui-ci incita l'auteur à bisser avec Gai,gai, marions-nous ; mais comme nous avons déjà eu l'occasion de l'écrire, les succès ne se suivent pas obligatoirement. Sapho cota beaucoup d'argent. Cécile Sorel était payée deux mille francs par jour, et les deux cent mille francs qu'elle gagna pendant cent représentations, furent en grande partie soldés par les bénéfices de Mogador. N'accordons qu'une brève mention à Les Amants de Paris, dont le dernier acte terminé en hâte, fut peut-être une des causes de l'insuccès de l'oeuvre; mais signalons les Ballets russes de Serge de Diaghilew, dont les recettes quotidiennes montèrent jusqu'à 100.000 francs. Nous n'avons malheureusement pas la place de parler longuement de ce grand artiste et curieux homme que fut l'animateur génial des Ballets Russes, artiste novateur qui révolutionna le théâtre, la mise en scène, le décor, la peinture, la musique, et jusqu'à la couture. Il souhaita trois choses dans sa jeunesse : posséder une perle noire, saturer sa vision de ballets et admirer Venise. Il fut comblé par le destin et nul de ceux qui ont vu les soirées des Ballets Russes ne peut les avoir oubliées. Parmi la troupe figurant au Théâtre Sarah-Bernhardt, dont les spectacles de ballets alternaient avec des comédies : La Dame aux Camélias, L'Aiglon, etc..., se trouvait un jeune danseur aux appointements de cinquante francs par jour. Il a fait son chemin depuis : Serge Lifar. Les trois dernières années des Ballets Russes de Paris furent données alors que les frères Isola étaient directeurs du théâtre. Lassés de Sarah-Bernhardt où tous leurs efforts s'avéraient vains, malgré toutes les audaces pour créer la Beauté, Emile et Vincent Isola jetèrent leur dévolu sur les Variétés, salle bien parisienne, moins onéreuse que l'autre, et que dirigeait Max Maurev. En 1934, ce dernier passait un accordd pour la direction tricéphale du Théâtre des Variétés. Un simple essai : réalisation de quelques travaux d'embellissement qui cotèrent une centaine de mille francs, puis partage des bénéfices une fois les frais retirés. C'est à cette époque que le Théâtre des Variétés donna une Revue de Rip, restée célèbre. Il était convenu que si l'essai donnait satisfaction, Maurey laisserait les Variétés aux deux frères. Au bout de trois mois, en face de l'indécision constante de leur associé provisoire, ils préférèrent renoncer, mais en furent pour leurs cent mille francs dépensés, qui s'ajoutaient au gouffre de Sarah-Bernhardt. D'ailleurs, les événements prenaient une tournure défavorable...

ARTISTES AYANT JOUÉ A "SARAH-BERNHARDT"
Vera Sergine Paule Andral
Cécile Sorel Marguerite de Valmor
Yvonne Printemps Dumont
Cassive Yolande Laffon
Alice Tissot Renée Corciade
Line Noro Yvonne Hébert
Marguerite Ducouret Germaine Riss
Yvonne de Bray Lucienne de Givray
Madeleine Lély Huguette Duflos
Simone Renée Devillers
Hélène Petit Yvonne Yma
Marcelle Géniat Marcelle Yrven
Andrée Pascal Marthe Sarbel
Falconetti Betty Daussmond
Renée Bartout Marcelle Cassin
Alice Dufrêne Brodo
Claudia Victrix Chomassin
Madeleine Thomas Diannette
Violaine Marcelle Barry
Reine Christiane Coustad
Josseline Gal Simonot
Sylvie Claire Giraud
Mady Berry Sacha Guitry
Jane Loury Francen
Augustine Leriche Jean Coquelin
Williams Saturnin Fabre
Carvalho Vilbert
Jane Delys Monteux
Deberthie Decoeur
Squinquel Deboncou
Georges Colin Debucourt
Pierre Fresnay Harment
Paul Bernard Ginet
Roger Gaillard Lavergne
Henri Rollan Charpin
Rolla Norman Alerme
Fernand Fabre Derbil
François Rozet Dréan
Puylagarde Paul Luis
Armand Bour Stacqué
Trévoux Decombe
Marcel André Armontel
Henri Vilbert Louvigny
Lucien Brlé Dumontier
André Brlé Vidal
Bever Berlioz
Escande Deneubourg
Ogereau Charmeroy
Vidalin Grégoire
Reynolds Laverne
Perdoux Favières
Maxime Léry Louis Scott
Mairet Siméon
Jacques Servières Delauzac
Raoul Marco Bienfait.
PICES JOUES À "SARAH-BERNHARDT"
Mon Curé chez les Riches
Deburau
Pour marier nia fille La Griffe
La Femme Nue
L'Insoumise
Mon Curé chez les pauvres
Gai, gai, marions-nous
L'Abbé chez le Ministre
Le Danseur inconnu
Arsène Lupin
La Dame aux Camélias
L'Aiglon
Cyrano de Bergerac
L'Homme au foulard bleu
Matre Bolbec
Les tribulations d'un Chinois en Chine
Peg de mon coeur
Romance
Tristan et Yseult
La Princesse lointaine
Indiana
La Fille à Lévy
L'alibi XIV
Une jeune fille espagnole
La Lettre
Monsieur Beverley
Ces Dames aux chapeaux verts
Sapho
Les Amants de Paris
Rosette.
AUTEURS DES PIÈCES JOUES À "SARAH-BERNHARDT"
Sacha Guitry
Clément Vautel
Pierre Chaine
André de Lorde
André Messager
Louis Verneuil
Charles Méré
Jules Verne
Joseph Bédier
Louis Artus
Henry Bataille
Pierre Frondaie
De Letraz
Germaine Acremant
Albert Acremant
Daniel Normand
Maurice Rostand
Jean Guitton
Maurice Leblanc
Germain Lucini
Georges Sand
Alexandre Dumas
Claude Farrère
Alphonse Daudet
Louis Empis
De Flers
Caillavet
Edmond Rostand
ARTISTES AYANT JOUÉ DANS LA REVUE DES VARIÉTÉS
Marguerite Moreno
Arletty
Loulou Hegoburu
Marguerite Decouret
Germaine Roger
Dany Loris
Suzy Leroy
Maille
Renée Varville
Pauley
Dorville
Gabaroche
Paul Dulac
Carlos Conté

 


Note : Le texte qui précède est tiré de "Souvenirs des Frères Isola - Cinquante ans de vie parisienne recueillis par Pierre Andrieu" et ont été publiés chez Flammarion en 1945. - Les textes de ces souvenirs peuvent encore faire l'objet de droits d'auteurs.

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