ans La chanson à Montmartre (La table ronde - 1967), Michel Herbert dit qu'il fut le second charmeur du Chat Noir (après Paul Delmet).
Fils d'un pharmacien, il naquit en 1868 à Alès - Herbert écrit Allais[*] - (Gard), fit ses premières études à Perpignan et, destiné à la médecine, il les poursuivit à Lyon puis à Paris où il s'inscrit à la Faculté en 1899. - Amateur de poésie et de chansons, il ne tarda pas à tomber dans le sillon de Rodolphe Salis qui, l'ayant entendu réciter avec beaucoup de flammes un poème que Maurice Donnais, absent à cause d'un duel, devait présenter au public, lui offrit un engagement... à l'œil (comme cela était sa coutume).
Étudiant le jour, chantant le soir, composant la nuit, le jeune Gabriel ne résista pas, tomba malade et dut retourner auprès des siens pour se faire soigner. - Guéri (mais avec un poumon en moins), il passe son doctorat en 1892 (à Montpellier) et se joint à une compagnie maritime naviguant sur la ligne des Antilles. Après avoir attrapé la fièvre jaune à Cuba, il revient à Paris (et au Chat Noir) vers la fin de 1893 pour s'y installer définitivement.
Rimeur sans effort, il compose ses poèmes et chansons directement sur une machine à écrire. - Et il écrit beaucoup :
"La chanson du macchabée" (musique de Gaston Maquis)
"Les veuves du Luxembourg" (musique de Gaston Maquis)...
Il écrit aussi pour le théâtre - des douzaines de pièces de théâtre - mais il est peu joué. - Enfin : à peu près pas sauf qu'il ne cesse de dire à quel point les directeurs de théâtre font appel à ses services.
Chansonnier le soir, il ne pratique guère la médecine le jour, étant, semble-t-il plus intéressé à faire des conquêtes. - Ces conquêtes, malgré ses récits, se limitent au quartier où il est très connu des dames de petite vertu qui y exercent leur métier...
Trop beau pour être vrai, trop intelligent pour être sympathique, trop éduqué pour ces dames qu'il fréquente, il ne se fait pas uniquement des amis. - Seul son public, composé de femmes venues entendre ce bel homme à la voix claire leur chanter des romances, lui est fidèle.
Lorsque le Chat Noir disparaît, il rejoint celui des Quat'z-arts dont il devient, sans grand succès, l'administrateur en 1910.
En 1914, sous les drapeaux, il est une des premières victimes de la guerre - enfin : une des premières victimes montmartroises de la guerre : il se tue, bêtement, en faisant une chute à bicyclette à Castres (Tarn) [Monsieur Patrick Biau], loin, mais très loin de toutes les lignes de feu.
On cite surtout de lui sa célèbre "Berceuse bleue" qui raconte l'histoire de deux amants qui, rêvant d'amours lointaines, "renièrent leurs parents" mais on aurait tout intérêt à relire (et à ré-entendre) ses autres chansons dont "La chanson du macchabée" qui a pour thème une autopsie (sic), "Mimi" qui est d'une rare audace dans la description de l'amour dit physique, "Le vieux modèle" dont on peut deviner l'argument et cet "Amour impossible" qui est loin d'être tendre envers ces dames...
De lui, nous avons retenu une chanson aujourd'hui oubliée qui s'intitule "Les veuves du Luxembourg" (il s'agit du parc, naturellement), d'abord pour les paroles mais aussi pour faire entendre cette voix venue de très loin et qu'on aura, aujourd'hui, de la difficulté à associer à un tel répertoire. - Musique de Gaston Maquis.
Bon d'accord : dans son temps, il a dû plaire énormément.
Écoutons donc ces "veuves du Luxembourg" (1907 - Musique Gaston Maquis) qui...
... vont les yeux baissés
Marchent à pas pressés
Un doigt soulevant la jupe
Et malgré le voile noir
Qui les cache, l'on peut voir
Qu'un désir les préoccupe...
[*] Ancienne orthographe de "Alès" (Merci Monsieur Patrick Biau) [**] Au piano : Paul Salomon
Ajout du 6 février 2013
Sur Montoya, tiré de Montmartre et ses chansons de Paris de Léon de Bercy (Paris, 1902).
Poète, chansonnier, chanteur, docteur en médecine, galant homme et "ressuscité", Gabriel Montoya naquit pour la première fois à Alais (Gard), le 20 octobre 1868 pour mourir à Paris dans le courant de l'année 1891 et renaquir à Montpellier peu de temps après, au moment précis où la Faculté de cette ville venait de lui décerner le diplôme de docteur, profitant des quelques mois qu'il passa dans l'Eternité pour composé un trio de poèmes posthumes dans lesquels il décocha à Camarde une poignée de traits qui le firent chasser des Enfers.
Le lecteur trouvera au cours de cette biographie l'explication de ce drame, seul pendant que l'on connaisse à celui qui se déroula à Béthanie dans les premières années de notre ère.
Gabriel Montoya commença ses études de médecine à Lyon, à l'époque où Maurice Boukay y était étudiant. Les deux futurs chansonniers se lièrent d'amitié, fréquentèrent le Caveau-Lyonnais, y composèrent leurs premières chansons et publièrent en collaboration une plaquette aujourd'hui introuvable: Le Bréviaire de l'Escholier lyonnais, avec des dessins de Garnier signés Graneri. Les deux compères perpétrèrent également deux revues pour le Casino de Lyon. Les brumes lugduniennes pesant à Montoya, il accourt à Paris dans le but d'y achever ses études mais il n'abandonne pas la chanson: dès son arrivée il présente à l'Association des Étudiants et y occupe immédiatement l'emploi de "chansonnier en titre", vacant depuis le départ de Xanrof. Il compose de nombreux couplets sur le Quartier-Latin, les réunit sous le titre Sur le Boul'Miche et les fait imprimer par la maison Imbert, de Choisy-le-Roy. A la même époque, il chante au caveau des Alpes-Dauphinoises qu'avait fondé rue Gay-Lussac un ancien chanteur du Mirliton, connu sous le pseudonyme de Chopinette, puis au caveau de la Gauloise que tenait, au boulevard Sébastopol, le chansonnier Georges Denola. Il y fait applaudir Mimi, le Macchabée, la Morgue, sur des airs connus, Gaston Maquis n'en ayant point encore composé la musique. En décembre 1890, M. Lainé, président de la Commission des fêtes de l'Association Générale des Étudiants, le présente à Salis, qui l'incorpore immédiatement dans sa troupe. Phryné, la spirituelle pièce d'ombres de Maurice Donnay, était alors en représentation. Son auteur ayant été blessé par M. Catulle Mendès dans un duel motivé par un article paru dans la Vie parisienne, Salis eut recours à la mémoire prodigieuse de Montoya, qui apprit les 1 200 lignes du livret et les récita le soir même, en pleine obscurité, sans en omettre un iota. Ce tour de force lui valut l'autorisation de chanter pendant six mois à l'œil devant le public sélect du Chat Noir. Il est vrai de dire que, en dédommagement, il chantait dans les mêmes conditions au caveau des Roches Noires. Ce surmenage et le noctambulisme qui en résultait le gratifièrent d'une affection de poitrine dont la gravité s'accentua avec une rapidité telle que les médecins ordonnèrent à Montoya de retourner incontinent dans le Midi. Sur ces sages conseils, le jeune chansonnier se rendit à Perpignan, dans sa famille; et ses camarades de Paris, sans nouvelles de lui pendant quelque temps, crurent à une issue fatale et répandirent le bruit de sa mort. Il eut alors l'honneur de nombreux articles nécrologiques dans lesquels – chose étonnante en notre siècle – ne se glissa aucune médisance.
C'est pendant sa maladie et après avoir eu connaissance de sa mort qu'il composa les trois poèmes auxquels il est, plus haut, fait allusion: l'Auteur posthume, qu'il a inséré, dans son volume de Chansons Naïves et Perverses (Ollendorff, 1897), Vers d'Un qui pensa mourir et Vers d'Un qui ne mourut point, publiés par le journal la Plume. Revenu définitivement à la vie avec un poumon de moins,— ce qui ne lui interdit pas de jouir aujourd'hui d'une robuste santé et de posséder une voix claire, bien timbrée, souple et d'une belle étendue, – il acheva ses études de médecine et se fit recevoir docteur avec une thèse traitant Des Antitoxines et principalement de l'Antitoxine tétanique, et en tête de laquelle il écrivit un curieux sonnet dédié à Jean Coquelin, où sont aux prises la Muse et la Science, qui traite le poète de farceur.
Il y avait vingt-quatre heures à peine qu'il avait passé sa thèse quand il se trouva nez à nez dans les rues de Montpellier avec des camarades de Montmartre qui faisaient une tournée artistique sous la direction de François Trombert. La joie qu'éprouvèrent les chansonniers fut telle en voyant le "ressuscité", qu'ils voulurent à toute force l'emmener avec eux; et voilà notre nouveau docteur parti pour Avignon, où il chante avec les copains.
Cependant, il hésite encore entre la Science et la Muse, qu'il voudrait servir également. Tantôt il chante, tantôt il panse; et un beau matin il s'embarque pour l'Amérique comme médecin de la Compagnie générale transatlantique et visite les ports de la Tunisie, de l'Algérie, des Antilles et du Mexique. Il navigue pendant deux ans (1892 à 1894), écrivant, pendant les loisirs que lui laisse le service, des poésies où il relate ses impressions de voyage. En voici une qu'il composa à la Havane en juillet 1893:
À LA HAVANE
Ici l'amour se vend comme le pain chez nous; Le commerce amoureux est un commerce honnête; Et les lois du pays couvrent le proxénète Et gardent sa demeure avec un soin jaloux.
Nargue des cadenas, des verroux et des grilles; Ici la courtisane opère en liberté, Et le garçon chez qui gronde la puberté Ne se dérobe pas pour aller voir des filles.
Il descend dans la rue et n'a qu'à regarder: Chaque porte à ses yeux découvre une vestale Nullement inhumaine et moins encor fatale, Et qui depuis longtemps n'a plus rien à garder.
Légèrement vêtue et de claires étoffes, Elle semble figée en un long nonchaloir; Et sa pose onduleuse et souple fait valoir La cambrure des reins, polis comme des strophes.
Elle a tout ce qu'il faut pour le bonheur des yeux Et tout ce qui promet les suprêmes extases. Mais ce bonheur, il est trop facile et sans phrases, Tant qu'à la longue il vous devient fastidieux.
Et c'est pourquoi, malgré vos lèvres de grenade, Malgré vos yeux, malgré la blancheur de vos dents, O filles, j'aime mieux, pour leurs baisers mordants, Vos sœur de Barcelone et vos sœurs de Grenade.
Mais c'est la Parisienne surtout qui l'attire; et il revient au Chat Noir, où son retour est fêté par tous, confrères et habitués. C'est que Montoya est un compagnon charmant, de commerce agréable, qu'on peut faire bavarder toute une journée et chanter toute une nuit sans qu'il en ressente la moindre lassitude; de plus, c'est un ami discret, serviable et sûr. Il possède une qualité rare de nos jours: il ne parle jamais politique; il évite ainsi de voir controverser son opinion, de blesser celle d'autrui ; et il reste bien avec tout le monde.
Il a fait de nombreuses tournées avec le Chat Noir et a écrit le journal de celle où succomba Rodolphe Salis : Le Roman comique du Chat-Noir, paru chez Flammarion en 1897. Dans ce livre se dévoile le doux caractère du poète chercheur de sensations d'art et sincère admirateur de la Beauté, qu'il encense et vénère dévotement. Quel dommage que ses chansons ne se ressentent point toutes de ce culte joli ! Combien l'ensemble gagnerait à ce que quelques-unes soient un tantinet pomponnées ! Montoya, qui "sait faire", a le tort d'être trop vite content de ce qu'il vient d'écrire et de trop tôt le livrer à la publicité; ce qui l'oblige parfois à des retouches après coup. Si je me permets ici cette observation, c'est en franche amitié et parce que je souffre parfois de voir des médiocres avoir prise par des vétilles sur des artistes de réelle valeur et dont le talent ne demanderait, pour devenir indiscutable, que d'être un peu plus jaloux de soi-même. D'ailleurs, toutes les critiques auxquelles je me laisse aller dans la rédaction du présent livre sont dictées par l'affection que je voue à beaucoup de mes confrères et par l'esprit de solidarité qui m'attache aux autres...
Montoya a également publié chez Costallat un élégant album, les Armes de la Femme, qui a fourni à Georges Vanor le sujet d'une délicate causerie. Enfin, il va faire paraître incessamment à la librairie Per-Lamm, 8, rue de Lille, les Berceuses bleues.
Ce titre me met en mémoire une divertissante anecdote qui eut pour théâtre le cabaret des Quat'z-arts. Il y a trois ans, à la demande de la majorité du public de cet établissement, Montoya dut chanter sa "Berceuse bleue", qu'il négligeait, depuis quelque temps, parce qu'elle était trop connue. Sa chanson terminée, il allait se retirer, lorsqu'une jeune personne, s'approchant de lui, voulut le complimenter.
"- Oh! monsieur, lui dit-elle, vous m'avez charmée. J'arrive de Buenos-Ayres, où je viens de passer deux ans; j'y ai entendu la Berceuse verte, mais la parodie que vous en avez faite est bien supérieure."
Or, c'est la "Berceuse verte", de Louise France, qui est la parodie de la "Berceuse bleue". Vous jugez de quel sourire Montoya accueillit la louange. Il y a maintenant des "Berceuses" de toutes les couleurs : Berceuse grise, Berceuse rose, Berceuse mauve, Berceuse noire, Berceuse rouge ; toute la palette y passera.
Après la fermeture du Chat Noir, Montoya chanta aux Quat'z-arts, aux Noctambules, au Tréteau-de-Tabarin, où il rompit son engagement pour entrer à la Boîte-à-Fursy, – ce qui lui valut un procès avec M. Ropiquet, son ancien directeur, et le fit condamner au paiement du dédit stipulé dans le contrat. Fursy avait, paraît-il, assuré son nouveau pensionnaire qu'il parerait à toute éventualité mais des difficultés sont survenues à ce sujet et l'affaire vient de se terminer à la satisfaction de Montoya.
Montoya, qui est infatigable, produit sans interruption. Je cite une de ses dernières chansons, musique de Louis Auguin, France éditeur:
CE QUE DIT LE PASSANT
Mignonne, dis-moi le sentier Qui mène à la berge fleurie Où la blancheur de l'églantier, Dont l'arôme est tant printanier, Au noir des mûres se marie? Mignonne, dis-moi le sentier Qui mène à la berge fleurie?
Mignonne, sais-tu le chemin Qui mène à l'antique fontaine Où sur le marbre mainte et maint, Dans l'espoir d'un beau lendemain, Gravent le nom qui fait leur peine? Mignonne, sais-tu le chemin Qui mène à l'antique fontaine?
Mignonne, dis-moi si ton coeur Ouvre sa porte au vent qui passe Et qui te chante ma langueur Et ma peine, en mode mineur, Plainte douce à travers l'espace? Mignonne, dis-moi si ton coeur Ouvre sa porte au vent qui passe?
J'en aurai terminé quand j'aurai dit que Montoya garde précieusement les lettres autographes que lui a adressées, en 1897, S.A.S. la princesse de Monaco ; qu'il est officier d'Académie depuis 1898 ; qu'il a fait représenter, en 1899, au théâtre des Arts de Rouen, sous la direction Melchissédec fils, Suzon, opéra-comique en un acte, musique de Jules Mulder ; que, la même année, le concert Lamoureux donna sa Chaîne d'Amour, musique de J. Bréval, chantée par Cossira ; qu'il a publié chez Ollendorf deux volumes de chansons : Chansons naïves et perverses et la Folle Chanson ; qu'il a collaboré comme poète ou comme chansonnier à l'Echo de Paris, à la Plume et aux suppléments du Gaulois, du Figaro et de Gil-Blas; que, enfin, c'est à tort que quelques-uns écrivent son nom : Montoja.
Note :
Sur le boul'mich de Gabriel Montoja (sic) - avec illustrations de Henri Gillet - impr. de F. Imbert (Paris) -1891 est disponible sur Gallica tandis que ses Chansons naïves et perverses – P. Ollendorff (1896) – peuvent être consultées sur Google Books.