Avec Raymond Legrand









 

 









Irène De Trébert

a question qu'on peut se poser à propos d'Irène de Trébert est :

"A-t-elle fait autre chose que "Mademoiselle Swing" ?"

La réponse est : évidemment oui ! Un délicieux coffret paru chez Frémeaux en 1997 a su répondre admirablement bien à cette question et si, aux premiers abords, le texte du livret qui y est joint (auteur : Daniel Nevers) semble ne parler que de Michel Legrand, du jazz sous l'Occupation et du cinéma allemand du début des années quarante, il décrit de façon très intelligente le contexte dans lequel la toute jeune Irène fit sa véritable entrée dans la chanson française, ce que fut sa fulgurante ascension et comment elle en est arrivée à disparaître ou presque peu après 1945.

Ce coffret contient plusieurs enregistrements rarissimes ou inédits dont un acétate enregistré chez Radio Cité en 1938 et un essai, chez Columbia, en 1940 comme quoi, quand on veut bien faire les choses...

Y sont joints, bien sûr, les premiers Trébert-Legrand (ou serait-ce les premiers Legrand-Trébert ?) (en 1941) y compris ce "Mademoiselle Swing" (1942) qui, semble-t-il, a fait le délice de ceux qui croyaient être "In" (on ne disait pas cela à l'époque) en contournant quelque peu la censure allemande... pour qui, on le sait, la musique dite "américaine" était verboten.

Pour imiter sans doute certains enregistrements de Fred Astaire, on entend même, de cette chère Irène et sur quelques plages, des pas de danse - à claquettes, bien entendu.

On écoute, écoute à nouveau, on utilise beaucoup d'imagination pour replacer le tout dans la petite histoire de la chanson pour finalement réaliser que ce n'était pas précisément débile mais pas trop étincelant non plus.

Ce qui nous amène à poser une deuxième question :

"Sans "Mademoiselle Swing", est-ce qu'Irène de Trébert aurait pu faire autre chose ?"

La réponse est moins certaine et c'est là que le personnage de la jeune De Trébert devient tout à coup fort intéressant car, avec un certain recul, on est obligé de constater à quel point la toute jeune fille qu'elle était à ses débuts fut mal dirigée, mal conseillée, manipulée presque, au point de n'avoir jamais pu réaliser un certain potentiel.

Dans d'autres circonstances et mêmes dans des circonstances encore plus difficiles, certains ou certaines s'en sont tiré(e)s beaucoup mieux mais il semblerait qu'Irène de Trébert n'a pas eu la chance nécessaire ou tout simplement le talent de ce faire.


Son destin fut un peu particulier...

Elle est née, tout d'abord, à bord d'un paquebot (sic) : le Pierre le Grand, battant pavillon russe, le 6 février 1921. En mer, peut-on lire ici et là mais jamais précisément où, - Que faisaient ses parents, Victor de Trébert et Olga Gheiring, sur ce Pierre le Grand - Nul ne sait. Des recherches pour apprendre qui était ce Victor de Trébert nous ont menés, jusqu'à présent, nulle part. Il faut nous pardonner car de ce côté-ci de l'océan... ? On peut penser qu'elle est venue au monde dans un milieu aisé, que ses parents étaient ou riches ou dans la diplomatie mais tout ce que nous avons pu apprendre, en fouillant quelque peu, c'est que la petite Irène fut une enfant très précoce au point de figurer dans un chœur d'enfants, à l'Opéra, à l'âge de cinq ans.

(Dans sa revue, Phonoscopies, numéro 11, juillet 1995, G. Roig mentionne quelques enregistrements datant de 1932 ? elle avait alors 12 ans ? où elle aurait chanté avec Michel Moreau-Brothier et un chœur "Au clair de la lune", "J'ai du bon tabac" et des chansons de Bécassine. Cela est fort possible.)

Ailleurs, nous avons pu lire qu'elle a appris à danser en Amérique, qu'elle a même fait partie d'une troupe, à New York, dans les années 36 ou 37. Fort possible également. Philippe Chauveau (Music-hall et café-concert - Bordas 1985) insiste pour la mettre à l'affiche de l' Étoile en 1934 et au Petit Casino vers à peu près la même période. À 13 ans ? Peu probable.

Ce qui est certain, c'est qu'elle est [de retour ?] à Paris à la fin de 1938 puisqu'on la retrouve dans les studios de Radio Cité comme nous l'avons mentionné ci-dessus de même qu'au Casino de Paris en 1939 (dans un tour de chant de Maurice Chevalier).

(L'Internet Movie Data Base mentionne également, un petit rôle dans un film d'André Chotin, Trois artilleurs à l'Opéra la même année mais ne donne pas plus de précision.)

Bref : rien de spectaculaire au cours des années trente mais il ne faut pas oublier qu'elle n'a atteint la vingtaine qu'en 1941...

Autant dire que tout ce qui précède ne compte pas.

Ce qui compte et ce qui allait être un fait déterminant dans sa vie, c'est sa rencontre, au début des années quarante, avec Raymond Legrand (photo ci-dessus à gauche). Raymond Legrand qui vient de prendre la relève de l'orchestre de l'heure, c'est à dire celui de Ray Ventura forcé de s'exiler, pour les raisons que l'on sait, en 1940. Il a besoin d'une petite chanteuse, fraîche, sachant danser et puis autre chose aussi mais de cela il ne faut en parler que parce qu'elle a eu un enfant de lui un peu plus tard.

Et voici qu'en 1942 un certain Richard Pottier, né à Graz en Autriche-Hongrie - ce qui explique peut-être autre chose - reçoit l'autorisation de tourner un film genre comédie musicale allemande mais plus ou moins au goût du jour, c'est-à-dire au goût du jour... pour la France. Le mot "Swing" est convenu, disons : accepté, et c'est ainsi que l'amie de cœur de Raymond Legrand devint "Mademoiselle Swing".

Pour le reste, voir les journaux à potins :

Amour qui se termine avec la Libération : elle court rejoindre Raymond Legrand qui, à l'instar de son prédécesseur, Ray Ventura, s'est exilé mais pour d'autres raisons sauf que les accusations de collaboration portées contre eux sont différentes. Elle n'écope que de dix mois d'interdiction. Lui : un peu plus.

Elle revient à Paris.

Tumultueuse liaison avec un certain Pierre Dudan.

Un dernier enregistrement, presque accidentel :un "duo" avec Tino Rossi : "La belle, ouvrez-moi donc" (où elle ne chante que deux couplets - en 1946). - Quelques émissions à la radio, quelques présences ici et là, deux, trois autres films : Monsieur Octave de Maurice Boutel (1951), Musique en tête de Georges Combret avec, cette fois-là, un neveu [sic] de Raymond Legrand, un certain Jacques Hélian mais dans lequel elle ne chante ni ne danse et Ce coquin d'Anatole d'Émile Couzinet en 1952.

En 1955, elle fonde une école de danse qui perdurera jusqu'au milieu des années soixante-quinze ou peut-être même plus tard ; puis c'est la retraite.

Son enregistrement avec Tino Rossi lui survivra, grâce aux nombreux regroupements qu'on a fait des chansons de ce dernier, de même que, jusqu'au coffret de Frémeaux, parce qu'il est évident que la chose a marqué toute une génération, ce fameux "Mademoiselle Swing" qu'on a copié et recopié des dizaines de fois sur des 33 T et qu'on continue de recopier sur des CD's depuis qu'on met en marché des albums-rétro en tous genres.


Mais revenons à nos moutons

Question n° 1 : "Est-ce que Irène de Trébert a fait autre chose que "Mademoiselle Swing" ?"

Nous avons déjà répondu. De là à savoir si ces "autres choses" étaient valables... Disons qu'elle a fait ce qu'on lui a demandé, ce qui nous amène à la :

Question n° 2  : "Sans"Mademoiselle Swing", est-ce qu'Irène de Trébert aurait pu faire autre chose ?"

Nous serions tentés de dire oui mais quoi ?

Pour la danse, il faudrait peut-être oublier. - Les films tournés en Amérique à la même époque et même certains films tournés en Allemagne nous rappellent trop ses limites. Pour une chanteuse sachant danser (à la claquette - nous insistons), chapeau : elle était plus intéressante que bien des interprètes de la fin des années trente et de la première moité des années quarante qui, figées devant un micro, ont fini par toutes se ressembler.

Pour le chant, avec un tout autre répertoire, nous croyons qu'elle aurait pu avoir une carrière plus longue - on n'a qu'à penser à Marie-Josée, par exemple - mais jeune, fortement influencée par une vague qui ne fut, somme toute, qu'une série de clapotis (sauf que cette série allait engloutir un Johnny Hess et bien d'autres), il est difficile de se faire une idée précise.

M'enfin : pas tout à fait :

Dans le coffret mentionné ci-dessus, deux chansons ont attiré notre attention.

Il s'agit de deux chansons créées par d'autres et dont son interprétation peut donc être comparée.

La première est de Danielle Darrieux. Il s'agit, bien sûr, de "Le premier rendez-vous" qu'Irène enregistra en septembre 1941. Columbia - Inédit.

La deuxième est de Mistinguett (pour la version française) et ce n'est pas avec Raymond Legrand mais avec Marius Coste qu'Irène enregistra "Mon homme" en octobre 1942. Columbia - n° CL-7668-1

Les voici (extraits seulement) mais vous verrez, ce n'est pas mal du tout, même que... mais vous déciderez :

"Le premier rendez-vous"

(Louis Poterat et René Sylviano)


"Mon homme"

(A. Willemetz, J. Charles, M. Yvain

Mais tandis que nous sommes là, pourquoi pas son "Mademoiselle Swing" ?
Un 78 T Columbia n° CL 7562-2 (3 février 1942).

"Mademoiselle Swing"

(Raymond Legrand et Louis Poterat)