Agar par Carette








Agar par Reutlinger








Agar par Cayol








(Les trois portraits ci-dessus proviennent
de la collection Michel Gillibert.)



























Mademoiselle Agar

éonide-Florence Charvin, dame Nique en premières noces et dame Marye en deuxième, dite Mlle puis Madame Agar. Lors de ses débuts au théâtre Beaumarchais, son maître Ricourt lui imposa le nom biblique d'Agar, prétendant que depuis Rachel toutes les tragédiennes étaient tenues de prendre leur nom dans l'histoire sainte.

Une des nombreuses interprètes du XIXe siècle qui débutèrent au café-concert pour se tourner vers le théâtre ou l'opérette.

Elle fut, selon Henry Lyonnet (Voir ci-dessous), une des plus grandes tragédiennes de son époque.

Née à Sedan (Ardennes - 08) le 18 septembre 1832 (et non à Bayonne, en septembre 1837 comme elle s'inscrivit elle-même à l'Association des artistes), elle s'enfuit d'un premier mariage plus ou moins raté (sa jeunesse est digne d'un roman) pour se rendre à Paris où elle arrive en 1853 pour immédiatement se lancer dans une carrière "artistique" dans divers beuglants et cafés-concerts (celui du Géant et du Cheval Blanc, entre autres) où elle chante la romance sous le nom de Mlle Lallier. Elle suit ensuite des cours de comédie qui l'amène à changer ce nom en celui d'Agar, cette esclave égyptienne que Sarah offrit à son mari Abraham.

Elle débute à l'École lyrique de la rue Tour d'Auvergne en 1859, pour passer à l'Odéon en 1862, à la Porte St Martin en 1865 et finalement à la Comédie Française où elle est admise pensionnaire en 1869 mais d'où elle est forcée de démissionner en 1872 pour avoir participé à un spectacle au bénéfice des victimes de la Commune (1871) et puis peut-être pour avoir trop souvent chanté "La Marseillaise des femmes" (Paulus, Mémoires, chap. 11).

Pendant trois ans, elle parcourt la France avant de revenir à Paris en 1875 et retourner à la Porte Saint-Martin, pour rentrer à nouveau à la Comédie française en 1878 où elle ne lui fait plus jouer que des rôles de dames aux cheveux blancs (elle a 46 ans). Elle repart en tournée (Espagne, Afrique, Belgique), revient à Paris en 1882, repart en province, revient rue Richelieu en 1888 mais démissionne peu de temps après où, malgré les promesses, on refuse de la nommer sociétaire.

Les voyages, la fatigue et la maladie ont finalement raison d'elle.

En 1890 - elle a alors 58 ans -, elle se retire à Mustapha, en Algérie, où son second mari est conservateur du Musée des antiquités africaines d'Alger. Elle rend l'âme, à Mustapha, le 15 août 1891. (acte de décès)

Extrait du Dictionnaire des comédiens français d'Henry Lionnet

(Voir à Bibliographie)

(Revue Universelle Internationale Illustrée- Genève - c. 1912)

AGAR, Mme. - Marie-Léonide Charvin, femme Nique, puis femme Marye dite, (1832-1891.) - Une des plus grandes tragédiennes du XIXme siècle. - Aucun état civil ne fut plus difficile à débrouiller que celui-ci. Nous laisserons la parole à M. Paul Guillemin, qui fut le premier à apporter un peu de lumière au milieu de tant d'affirmations différentes :

"Agar (Marie-Léonide Charvin, dite), née à Sedan (Ardennes) le 18 septembre 1832, morte à Mustapha (Algérie) le 15 août 1891; fille de Pierre Charvin, né à Faramans (Isère) le 27 Messidor an VII [*], et de Marie Fréchuret, née à Vienne (Isère) le 14 juillet 1815.

"Ce n'est pas sans quelque satisfaction que je place en tête de cette notice, après des recherches longues et multipliées, le véritable état civil d'Agar, et que je mets ainsi fin à des légendes sans base et à de prétendus mystères ; l'histoire est amusante.

"Il est faux que le père et la mère d'Agar fussent israélites et nés dans l'Arabie ; il est faux qu'elle soit née hors du mariage, faux que sa naissance n'ait pas été déclarée. - Agar n'est pas née en 1829, comme le croit sa famille, ni en 1836, comme l'indiquent Vapereau et Larousse, ni en 1837 comme le portent les registres de l'Association des artistes dramatiques ; il est faux qu'elle eût droit aux prénoms de Léontine ou Florence, ou au nom de Chalvin, faux encore qu'elle soit morte à Alger et un 16 août. Elle n'a pas été servante dans une auberge de Vaugneray, ni modèle chez Delacroix, et ne s'est jamais appelée Mme Bibort.

"Il n'est pas vrai davantage qu'elle soit née: 1 à Valence ; 2 à Vienne ; 3 à St-Claude ; 4 à Bayonne: 5 à Beaurepaire ; 6 en Algérie; 7 à Chasse; 8 à Annonay ; 9 à Faramans ; l0 à Lons-le-Saulnier ; 11 en Tunisie; 12 dans la Loire ; 13 à Gray ; 14 à Sainte-Colombe.

"Sa naissance ne cache aucun mystère, comme on s'est plu à l'écrire, comme Agar s'est, elle-même, amusée à le laisser entendre. Mais, comment a-t-elle pu tromper jusqu'à la fin ses amis les plus intimes, M. Savigné, Mme Pauline Savari. Quelle histoire a-t-elle contée à Amédée-Louis Jullien, ce charmant littérateur dauphinois qui, sous le pseudonyme de Raymond Laire, a écrit sa notice biographique en 1878. Dans cette plaquette Jullien dit :Nous pourrions soulever le voile qui entoure les origines de Mlle Agar, donner son acte de naissance et son nom de jeune fille. Mais de quel droit ? Est-ce que l'artiste ne saurait garder par devers soi un réduit inviolé ?"

"L'explication est bien simple. Lorsque Ricourt eut découvert Agar dans un "beuglant" parisien, il lui conseilla de se rajeunir, ce qu'elle fit; pour mieux entretenir la supercherie et rendre les recherches difficiles, elle s'attribua et se laissa attribuer maints lieux et dates de naissance, et bravement, elle s'inscrivit elle-même à l'Association des artistes dramatiques comme née à Bayonne, le 15 septembre 1837, pendant que Larousse la faisait naître à Saint-Claude, et Vapereau à Valence, en 1836."

M. Arthur Pougin se rangea de l'avis de Vapereau, et M. G. Monval mit en avant le nom de Sedan, mais en maintenant la date du 18 septembre 1837.

La filiation d'Agar a été établie par les soins de M. Henri Meyer, juge d'instruction à Paris, et de M. Sachet, président du Tribunal de Vienne.

Voici l'acte de naissance in extenso

"L'an mil huit cent trente-deux, le dix huit septembre, les trois heures de relevée, par devant nous, Charles-François Franquet-Chayaux, maire et officier de l'État civil de Sedan, est comparu Pierre Charvin, maréchal des logis au huitième régiment de chasseurs à cheval, en garnison à Sedan, âgé de trente-deux ans, lequel nous a présenté un enfant du sexe féminin, né aujourd'hui à une heure de l'après-midi, au dit Sedan, de lui déclarant et de Marié Fréchuret, son épouse, âgée de dix-sept ans, et auquel il a déclaré vouloir donner les prénoms de Marie-Léonide ; les dites déclaration et présentation faites en présence d'Alexandre Demarée, maréchal des logis au susdit régiment de chasseurs, âgé de vingt-sept ans, et de Jean-Baptiste Varlet, brigadier au même régiment, âgé de vingt-neuf ans, tous deux en garnison à Sedan ; et ont, le père et les témoins, signé avec nous le présent acte, après que lecture leur en a été faite."

Pierre Charvin, le père d'Agar, était né à Faramans (Isère - 38) le 27 Messidor an VII [*]. Il épousa en premières noces Marie Fréchuret, à Vienne, le 13 septembre 1830, et en secondes noces, en 1851, Marguerite Bonneton. Il fut décoré en octobre 1848, et mourut d'une paralysie à Vienne (Isère - 38), le 18 décembre 1865.

Marie Fréchuret, mère d'Agar, naquit à Vienne (Isère - 38), le 14 juillet 1815, et mourut le il mai 1848 à Lyon, rue Bourgchanin n° 20, chez un logeur nommé Antoine Seppe, alors que son mari était en garnison à Limoges (Haute-Vienne - 87).

Le drame intime est ainsi révélé. Il nous est confirmé par la lettre suivante que Mme Savari, l'amie intime d'Agar, adressa à M. Paul Guillemin déjà cité :

"Pierre Charvin, sous-officier, épouse Marie Fréchuret en 1830, il suit son régiment ; la femme suit le mari, et c'est ainsi qu'Agar vient au monde à Sedan. La vie de garnison continue pour le jeune ménage, puisque le métier des armes en était un alors, et était celui des Charvin. Mais la mère s'épuise ; elle meurt promptement. La fillette est confiée à ses grands parents de Faramans. Son enfance s'écoule heureuse ; c'est le seul temps heureux de sa vie si tourmentée ; elle m'en parlait toujours avec émotion.

"Plus tard, les hasards de la vie militaire ramenèrent le soldat à Vienne (Isère - 38) ; il épouse Marguerite Bonneton. Agar était jeune ; imaginez quelle devait être sa beauté ; vous constituerez le drame ; la belle-mère, aussi jeune, mais vulgaire, devant la marâtre ! La jeune fille, avec une résolution de Dauphinoise, de fille des montagnes, se révolte, et, plus faible, s'exile au bras du premier épouseur... M. Nique.

"Mais ce n'est pas, la liberté encore, car le mari est plus mauvais que la belle-mère. Ici, quatre ou cinq années obscures que, par délicatesse, elle n'a dévoilées à personne que je sache.

"Mme Elise Millereau, veuve du fabricant d'instruments de musique, se rappelle que le ménage Nique aurait tenu un café à Châlon-sur-Saône (Saône-et-Loire - 71), en ces temps lointains. Enfin, la pauvre Agar échappe à son mari et vient à Paris avec l'espoir d'y être à jamais perdue pour le bourreau de sa belle jeunesse."

Cette arrivée à Paris semble remonter à l'année 1858. La jeune femme connaissait la musique et le piano ; elle en donna des leçons pour vivre. Puis elle essaya de chanter dans les cafés-concerts, au Géant, au Cheval blanc (1857), sous le nom de Mme Lallier, gagnant d'abord cinq francs par soirée, puis quinze.

Elle a dit elle-même, dans ses mémoires, la criante qu'elle avait toujours d'être reconnue par un spectateur dauphinois qui révélerait sa présence à Paris. C'est ce qui arriva un beau jour, et l'on assure que le compatriote involontairement mal avisé fut... François Ponsard.

On la voit, en 1858, au Théâtre Beaumarchais, où elle tient le rôle... du dieu Mars, dans une revue de Roger de Beauvoir, "Madame la Comète", et comme l'année suivante, ce petit théâtre s'était mis en frais d'une cantate pour célébrer les victoires de Magenta et de Solferino, l'on chercha une muse et ce elle qu'on choisit.

Le teint mat, les yeux noirs, le regard plein d'expression, les traits réguliers, le maintien sculptural, la débutante avait, au physique, tout ce qu'il faut pour faire une tragédienne. On lui conseilla d'aller demander des leçons au vieux Ricourt qui flaira de suite en elle un sujet : "Quand on joue la tragédie, lui dit-il, on ne s'appelle pas Chavin. Il y eu Rachel ; c'est un beau nom biblique. Eh ! bien, tu t'appelleras Agar."

Ainsi fut baptisée Mlle Charvin.

Le 18 décembre 1859, Mlle Agar débuta à l'Ecole lyrique de la rue de la Tour-d'Avergne, dans le rôle de Maritana de "Don César" de Bazan. Le 6 mars 1860, elle paraît encore dans deux actes de Phèdre. L'histoire de ces débuts se retrouve dans la petite brochure les Mystères de l'Ecole lyrique, p. 31, 32, 70.

C'est alors que Ricourt conseilla à son élève de se rajeunir, ce qu'elle fit. Seul, Francisque Sarcey ne fut pas dupe, comme le prouverait ce passage d'un curieux article de journal écrit par lui en 1888 :

"Je me défiais des toquades de Ricourt. Je l'avais vu si souvent forcené et trépidant, que j'avais pris la parti d'accueillir ses fureurs d'admiration avec un sourire d'indulgent scepticisme. Mais il revint si souvent à la charge, qu'un jour je me laissai conduire à sa classe, pour voir la merveille dont il s'était fait le précurseur.

"C'était Mlle Agar.

"Elle était superbe, avec ce beau visage de marbre, cette épaisse chevelure noire, lourdement massée sur le cou, sa poitrine déjà opulente, sa taille majestueuse et cette vois grave à laquelle son timbre voilé donnait je ne sais quoi de mystérieux... C'était quelqu'un !

"Elle débuta assez tard, car elle avait déjà passé l'âge où l'on élève quand elle recevait encore les leçons de Ricourt. Ricourt m'avait dit avec aplomb qu'elle n'avait que quinze ans. Je lui en donnais bien vingt à vue de pays... ?

Agar entra à l'Odéon en 1862 (Phèdre, Horace), puis à la Porte St-Martin (Windha des Etrangleurs de l'Inde) et à la Comédie française (mai 1863). Delaunay a dit dans ses Souvenirs (p. 295), à propos de ce premier début dans la maison de Molière :

"Faut-il rappeler ses débuts sous l'empire dans la maison qu'une malveillance obstinée lui fermait ? Pourquoi Thierry ou son entourage ne voulait-il pas d'Agar ? Il fallut que l'empereur, l'entendant dans un concert, s'étonnât qu'elle ne comptât pas encore au nombre de ses comédiens ordinaires.

Hélas ! Mme Guyon ne voulait pas qu'elle eût du succès, les répliques lui étaient données avec mauvaise grâce, et l'on persécutait cette pauvre femme qut ne savait pas se défendre.

Bref, le succès dans Andromaque et Glytemnestre d'Iphigénie ne répondant pas à l'attente, elle quitta la rue Richelieu pour l'Ambigu, où elle remplaça Marie Laurent dans "La Sorcière". Nous la retrouvons ensuite à la Porte Saint- Martin, engagée spécialement pour "La Faustine" de Louis Bouilhet (1864), à la Gaîté ("La Tour Nesle", "Le Fils de la Nuit", rôle de Ghébel), à l'Odéon (la reine mère dans "La Conjuration d'Amboise", 29 octobre 1866), le "Roi Lear", Jeanne de Lignères, (3 septembre 1868). Mais il fallait la belle création de Sylvia dans "Le Passant" de Fr. Coppée (janvier 1869) pour la mettre vraiment en évidence, en même temps que sa partenaire, Sarah Bernhardt. De ce jour seulement ces deux artistes furent classées; Mme Agar rentra la même année à la Comédie française comme pensionnaire.

Dans l'intervalle, le mari avait reparu, mais la tragédienne refusa de reprendre la vie commune.

"Elle voulut conserver une indépendance qu'elle avait bien gagnée et que, d'ailleurs, elle continua de payer, nous apprend Mme Pauline Savari, car le misérable Nique a été jusqu'au bout à la charge d'Agar qui n'obtenait son éloignement qu'en en faisant les frais. Émile, le concierge de l'Odéon, récemment admis à la retraite, se rappelle l'individu à allures louches qui venait de temps en temps attendre l'artiste à la sortie du théâtre, pour obtenir le peu d'argent que la pauvre femme avait gagné !"

Et ce chantage ne devait prendre fin que lorsque, devenue la pensionnaire de M. Georges Marye, Agar entreprit ses tournées du répertoire classique, car Nique ne mourut qu'en 1879, ce qui permit à l'artiste d'épouser M. Marye en 1880.

Malheureusement, Mme Agar fut toujours de celles qui n'ont pas de chance. Au moment où elle allait enfin faire valoir son talent dé tragédienne sur notre première scène, la guerre franco-allemande éclata ; on la retrouva.... à l'ambulance.

Le 18 juillet 1870, elle déclame superbement "La Marseillaise" entre deux actes du "Lion amoureux", ainsi que dans la mémorable soirée du 6 août, au bénéfice de la Caisse des secours et dons patriotiques pour les blessés. Elle la redit ainsi quarante-quatre fois jusqu'à la fermeture.

En 1871, le 6 mai, le gouvernement de la Commune organisa un concert aux Tuileries, au profit des veuves et des orphelins des fédérés, et sollicita de la Comédie française le concours d'une artiste pour réciter "La Marseillaise". M. Ed. Thierry, alors administrateur et gardien du Théâtre français, lui conseilla, dit-on, d'accepter. I1 désirait ainsi écarter de son théâtre les foudres de Raoul Rigault (consulter, sur ce sujet, un article de M. Raymond Laire, paru dans la Revue du Dauphiné et du Vivarais, Vienne, Isère, 1878). Ce concert eut lieu, au jour indiqué, dans la Salle des Maréchaux, aux Tuileries. Les uns disent qu'elle se contenta d'y réciter des vers et qu'aux trois mille spectateurs qui réclamaient "La Marseillaise", elle déclara qu'elle l'avait oubliée depuis qu'on ne se battait plus contre les Prussiens ; d'autres croient qu'elle en dit quelques strophes. Quoiqu'il en soit, on fit de cette soirée un crime à la pauvre artiste qui, pour toute défense, se contentait de répondre invariablement "Je suis partout où je puis être en aide aux malheureux." Il n'en fallut pas plus pour que la situation de Mme Agar devînt impossible à la Comédie française qu'elle quitta en 1872 pour entreprendre de longues et pénibles tournées en province.

"Ne la suivons pas, la pauvre tragédienne, écrit encore Delaunay (p. 297-298 des Souvenirs), errant de chef-lieu en chef-lieu, courant après la fortune qui lui échappait toujours, ne se fixant nulle part, en proie à d'éternels besoins d'argent. Une fièvre de spéculation l'avait prise, et elle achetait des terrains sans être en mesure de payer aux échéances...

En 1875, nous la voyons reparaître à Paris aux matinées littéraires de Ballande - Porte Saint-Martin, 28 mars, Agrippine de Britannicus ; 4 août, Iphigénie en Aulide ; Renaissance, 19 décembre, Les Horaces. Le reste du temps se passait en excursions dirigées par M. Marye.

Le 6 avril 1877, elle joue Les Horaces à l'Ambigu, puis la Comédie française lui rouvre ses portes. Pour sa rentrée, le 8 avril 1878, elle y crée le rôle de Mlle Bernard dans Les Fourchambault d'Émile Augier et y obtient un grand succès, joue Athalie le 16 avril, Agrippine de Britannicus le 18 juillet, reprend des rôles dans Le Village (8 août) et Les Ouvriers (10 novembre). Ce n'est déjà plus la "muse immortelle et sacrée" qu'a célébrée Armand Silvestre en des strophes pieuses, ni cette "guerrière aux noirs cheveux des batailles lyriques" que devait louer - trop tard - Catulle Mendès ! Elle était déjà vouée aux mères à cheveux blancs !

Cependant, n'ayant pas été nommée sociétaire à la fin de l'année, l'artiste se dépita et reprit encore une fois la clé des champs.

Ces tournées en province, ces déplacements, ces fatigues continuelles devaient altérer sa voix, jusque là fort belle. Paris ne la revoit plus désormais que par intervalles ; en novembre 1882, elle crée à l'Ambigu le rôle de la comtesse Boleska dans "Les Mères ennemies", où elle fut superbe, de l'avis unanime de la critique, puis le rôle de Marie dans La Glu (27 janv. 1883).

Les années suivantes se passent encore en voyages à l'étranger, en Espagne, et le 1er septembre 1885, l'enfant prodigue rentre au bercail, c'est-à-dire rue de Richelieu, où l'on ne l'admet toujours que comme pensionnaire.

De Rueil, où elle demeurait, elle écrit à M. Estival, le 18 octobre 1886, une lettre : Mounet est admirable dans Hamlet, Reichenberg adorable dans Ophélie, mais on lui a donne un rôle infâme. "Je suis un peu destinée à ces rôles, ajoute-t-elle avec quelque amertume ; quoiqu'il en soit, le théâtre encaisse chaque soir près de 8 000 francs et la pièce fait grand effet. C'est tout ce que je demande. Elle espère encore être nommée sociétaire à la fin de l'année. (Autographe, Catalogue Charavay, ne 316, février 1902).

La maladie, la fatigue, le découragement guettaient la pauvre artiste vieillie et brisée. Dès lors, elle remplit le monde des lettres de ses doléances et de ses requêtes, la vaincue, comme elle s'appelait elle-même, et il faut lire les épîtres désolées, datées de quelques année avant sa mort, lettres que publia par la suite M. Gauthier-Villars dans la Revue hebdomadaire. Dans l'une, du 14 février 1888, elle rappelle "ses sept années perdues au Théâtre français", ajoutant : "En 1878, on me fait perdre quatre-vingt mille francs pour en gagner sept mille pendant l'Exposition, et me forcer à partir au bout de l'année après m'avoir promis a place de Mme Guyon que je venais de remplacer."

Elle écrit aussi à Delaunay (Souvenirs de Delaunay, p. 299). Elle se plaint de Mlle Dudlay, elle se plaint de l'injustice de Sarcey. Et cependant, quand la vraie détresse est venue, quand Sarah Bernhardt essaie le sauvetage, elle ne peut s'empêcher de dire, en parlant de son ancienne "ennemie jurée" : "Elle a été admirable pour moi".

Agar a beau écrire à propos de la Comédie française : "Nous ne parlerons plus de ce théâtre qui a été le but de ma vie, que je révère et dont il faut m'éloigner...", elle n'abandonne jamais son rêve, alors même que par besoin d'argent elle vient jouer à Montmartre, aux Gobelins, aux Batignolles, et ainsi. jusqu'à la paralysie finale qui s'empara d'elle un soir qu'elle déclamait le Cimetière d'Eylau.

Mme Louise France a raconté comment elle avait retrouvé Agar à Nice, en 1890, tout un côté du corps inerte : "Je me regarde mourir", disait-elle. Puis, avant de partir pour l'Algérie, où elle devait succomber, elle chargea sa camarade d'un dernier souvenir pour Sarah qui, chaque fois qu'elle avait été malheureuse, était venue à elle les bras tendus.

Le 14 août 1891, elle cessait de souffrir, à Mustapha, près Alger. Mais il était dit que la malchance s'acharnerait encore après sa dépouille.

Le 18 août, la Comédie française avisée de ce décès, fit parvenir au mari de la tragédienne, M. Marye, mille francs pour ramener le corps à Paris. M. Marye accompagna les restes de sa femme jusqu'à Lyon, où il tomba malade, et l'on dut laisser le corps en dépôt. Pendant ce temps, la Comédie française faisait rechercher partout ses dépouilles. Finalement elles arrivèrent à la gare de, Lyon, d'où elles furent conduites à Paris, sans pompes, par suite de ce malentendu, au cimetière Montparnasse où elles reposent.

Le Figaro du 11 juillet 1900 annonça à son tour la mort de M. Georges Marye, conservateur du Musée des antiquités africaines, à Alger, décédé à Auteuil, à l'âge de 58 ans - 17, rue Chanez. - L'inhumation eut lieu dans le tombeau de Mme Agar. Sur ce tombeau, le statuaire Henry Cros a placé là reproduction d'un buste qu'il avait fait de la tragédienne dans sa jeunesse et dans sa beauté. L'original était la propriété de M. Georges Marye, qui le destinait à la Comédie française ; de même qu'il destinait à Carnavalet un grand portrait en pied d'Agar, signé Grellet.

"Après la mort de son mari, directeur du musée lapidaire à Alger, lisons-nous dans l'Intermédiaire des chercheurs et des curieux (20 mars 1902), on a vendu aux enchères publiques tout ce qui avait appartenu à cette artiste. Cela faisait peine, on vendait à vil prix. Un portrait d'elle, sur toile, splendide, fut adjugé ainsi à un prix ridicule : il reviendra, dit-on, à la Comédie française."

Lorsque le buste d'Agar fut inauguré au cimetière, François Coppée qui se souvenait de la Sylvie "du Passant", récita ces vers sur la la tombe :

D'autres rappelleront que ton sort, pauvre femme,
Fut rigoureux, malgré tant de soirs éclatants,
Qu'on disputa son trône à la Reine du drame
Et qu'un injuste oubli l'exila trop longtemps.
Que, dans les durs wagons, la généreuse artiste
Reprit les longs chemins où roulèrent, jadis
Le coche de Molière et le char de Thespis.
Et que donnant partout un admirable exemple,
Prêtresse du grand art et du rythme immortel,
D'une grange enfumée elle faisait lin temple
Et, devant trois quinquets, allumait un autel...

Biographie : Bibl. nat., Ln 27,120, Notice sur Mlle Agar, signée Mac-Lenor, Paris, P. Dupont, 1863. - Revue encyclopédique n° 21. - Paris-Théâtre n° 11, 1872, notice par Félix Jahyer. - Mémoires d'Agar, dans la Revue Parisienne du 10 mars au 10 octobre 1893. - Le Dauphiné et les Dauphinois dans la charge et la caricature, notice biographique par Paul Guillemin, 1897.

Bibliographie : Les Petits Mystères de l'École lyrique, la Revue du Dauphiné et du Vivarais (Raymond Laire), Vienne, Isère, 1878, le Figaro, 11 juillet 1900, les Souvenirs de Delaunay, les Éphémères M'as-tu vu ? par Louise France.

Iconographie : Bibl. nat. Catalogue Duplessis n° 290.

1. En buste, de profil à droite, dans un ovale, phot. anonyme.
2. En buste, de profil à droite, photogr. Berthaud, 1870.
3. En buste, de profil à droite, dans un médaillon rond. Imp. Cadart et Luce.
4. En buste, de 3/4 à droite, grav. par Pli. Cattelain (1887).

Un grand portrait en pied, par Grellet ; un buste par Henry Cros.

[*] Note des auteurs : 15 juillet 1799.