Léo Marjane

ifficile de se faire une opinion sur Léo Marjane quand on est au Canada français où, à cause de son style, on est trop souvent tenté de la comparer à des interprètes américaines ou même québécoises de la même époque. Dans le domaine léger, on pense à Doris Day ; dans celui d'une chanteuse romantique, à Rosemary Clooney ; dans le domaine dramatique, à Billie Holiday mais, en France - même, combien de fois l'a-t-on opposée, en bien ou en mal, à Damia, Lucienne Boyer, Lucienne Delyle, Jacqueline François...

Aussi inutiles que soient ces rapprochements, reste un fait indéniable : elle a sans doute été celle qui a le plus contribué au développement de la chanson française pendant toute une époque en créant un genre qui, jusqu'à son arrivée, était, tout à fait inconnu : celui d'une diseuse intimiste, sans débordement, tout en demi-teintes.

À cela, on pourrait ajouter qu'avec, à son crédit, uniquement son interprétation de [Je suis] "Seul ce soir", elle mériterait une place d'honneur au Panthéon de la chanson française sauf que ce serait oublier, en ne citant que ce titre, sa "Chapelle au clair de lune" et même - s'il y a eu une chanson américaine à son répertoire, c'est bien celle-là - son admirable interprétation de "En septembre sous la pluie".

Et puis comment ne pas souligner qu'elle a su s'entourer, lors de ses "grands" enregistrements, d'un magnifique orchestre : celui de Wal-Berg, probablement le plus "jazzy" des accompagnateurs de l'époque (en France) mais, encore une fois, ce serait oublier ceux qu'elle a faits avec Ambrose (anglais tout de même) ou Raymond Legrand.

Moins objectivement, nous ajouterions qu'elle a été une des rares chanteuses, toutes nationalités confondues, qui a eu cette rare qualité de laisser croire à son auditeur ou son auditrice qu'elle s'adressait uniquement à lui ou à elle, chose d'autant plus évidente quand on fermait les yeux pour écouter ce qu'elle avait à dire.


Quelques notes biographiques

Elle est née Thérèse Marie Léonie Gérard, le 27 août 1912, à Boulogne-sur-Mer (62 - Pas-de-Calais) mais a été élevée en Rhénanie pui en Autriche où on lui a fait suivre des cours de chant, de violon et de piano. (On parle même d'acrobatie ! - De mise en scène, plutôt ?)

Elle monte sur les planches très tôt. G. Roig, dans sa revue Phonoscopies - Juillet 2003, mentionne qu'elle a "triomphé", à quinze ans, au concours Artistica (Marseille) et qu'à seize ans, sous le nom de Rita Karoly (sic) elle formait un duo avec, jusqu'à aujourd'hui, un inconnu - interprétant des chansons fantaisistes. Il ajoute qu'elle aurait fait ses véritables débuts, en Léo Marjane (une contraction de Marie et de Jeanne), à dix-neuf ans, à l'Alhambra. C'était en 1931, année où elle fit un test, sans suite, chez Gramophone, mais presque aussitôt suivi de six enregistrements, publiés ceux-là : deux chez Columbia et quatre chez Ultraphone.

Il faudra attendre jusqu'en 1937 avant que ne paraisse "La chapelle au clair de lune", son premier grand succès qui fut suivi de son départ vers les Amériques d'où elle revint avec le style qui sera dorénavant le sien.

En 1938, elle est devenue, grâce à ce style fait de nuances, grande vedette et si elle passe facilement la rampe des grandes salles ( Bobino, A.B.C.,etc.), c'est dans des établissements plus intimistes qu'elle séduit petit à petit un public de plus en plus fidèle.

L'occupation ne trouble pas sa carrière (on le lui reprochera quelque peu, en 1945) et lorsqu'elle met à son répertoire, en 1941, " Je suis seul, ce soir" (de Rose Noël et de Jean Casanova sur une musique de Paul Durant), c'est le délire. Elle passe de grande à très grande vedette.

À partir de 1945, à cause d'un mini-exil en Angleterre et en Belgique, ce ne fut pas à proprement parler le déclin mais, avec la venue des rythmes de l'après-guerre, Léo Marjane ne put compter sur l'unicité de son style et malgré de nombreuses présences à la radio, d'autres enregistrements - moins personnels, ceux-là - diverses apparitions sur scène, des tournées qui la mèneront jusqu'en Russie (dont un long passage au Québec), son étoile commence à pâlir.

Et c'est ainsi que, sagement, peu de temps après son mariage avec le baron de La Doucette, elle décide de se retirer de la scène.

Cette retraite fut entrecoupée de rares présences à la radio et à la télévision qui ont contribué à perpétuer quelque peu son souvenir. La dernière fois, c'était peu avant son quatre-vingt-dixième anniversaire, à France-Musique où poussée par Jacqueline François, elle consentit à se faire interviewer.

Léo Marjane décède le 18 décembre 2016 à l'âge de 104 ans, à Barbizon où elle demeurait...


Discographie

La discographie de Léo Marjane débute en 1932 avec les deux plages mentionnés ci-dessus, chez Columbia : "Les prisons" et "Paris-Noël". Suivent quatre autres enregistrements, chez Ultraphone, en 1933 puis plus rien. Plus rien avant 1937 où, après deux essais refusés, Gramophone publie un premier 78 T contenant "Un soir sur la forêt", une adaptation de "Twilight on the Trail" - sans intérêt - et "La chapelle au clair de lune" cité ci-dessus et qui allait marquer le véritable début de sa carrière.

Cette carrière se terminera, quelque 180 titres plus tard, avec une dizaine de 45 T enregistrés en 1956 et 1957, chez Vega et un ultime double 45 T, en 1961, chez RCA Victor où elle reprend pour la dernière fois, "Seul ce soir", "Septembre sous la pluie", "Begin the Biguine" et "Mon ange".

Entre le début et la fin, on retrouve de tout : "Katia ("Il peut neiger"), en 1938, "Soir Indigo" ("Deep Purple"), en 1939, "Sérénade portugaise" (de Charles Trenet), en 1940, "L'arc-en-ciel" ("Over the Rainbow"), en 1941 et des choses quand même surprenantes en ce qui la concerne : "Mademoiselle Hortensia", "Brésil", "C'était écrit", "Clopin-clopant", "Les croix", "Mets deux thunes dans l'bastringue" (sic) et même "Sur ma vie" et "Monsieur mon passé"...

Nous avons retenu, ici- voir ci-dessous - les deux enregistrements qui ont marqué sa carrière.

Pour de plus amples renseignements (liste complète, dates, orchestres accompagnateurs, numéros de matrice et numéros de distribution) :

Gérard Roig
Revue Phonoscopies, n° 43 (Juillet 2003) et 44 (Octobre 2003)
29 rue Colas Fédron
78700 - Conflans Ste-Honorine
France


Cinéma

Léo Marjane a tenu le rôle principal dans un seul film :

Les deux gamines de Maurice de Canonge (en 1951), un film qui mettait également en vedette Suzy Prim, Jean-Jacques Delbo, René Sarvil et Georges Tabet.

Mais elle fait deux autres apparitions, les deux, huit ans auparavant et cinq ans plus tard (dans le rôle d'une chanteuse)

Tout d'abord dans  Feu Nicolas de Jacques Houssin (1943) aux côtés de Rellys, Suzanne Dehelly, Jacqueline Gauthier, Yves Deniaud et Tramel ; et dans Elena et les hommes de Jean Renoir, en 1956, film qui mettait en vedettes Ingrid Bergman, Jean Marais, Mel ferrer et une foule d'autres comédiens de l'époque dont Jean Richard, Pierre Bertin, Dora Doll et une toute jeune Juliette Gréco.


Extraits vidéo

Trouvé, sur Internet, un video clip de Léo Marjane chantant à la télévision, au début des années soixante (?) "La chapelle au clair de lune" qu'elle enchaîne avec "En septembre sous la pluie". Le voici.

2012, l'année centenaire

Léo Marjane a cent ans... Interviewée par l'Agence France Presse, la grande Dame nous offre une minute et douze secondes de réalisme artistique... On commence avec l'histoire de cette fameuse chanson : "Seul, ce soir"...


Enregistrements


[Je suis]"Seul ce soir"

Disque Gramophone n° K8586 - 1941


"La Chapelle au clair de Lune"

Disque Gramophone n° K7944 - 1937

Petits formats