Yvette Guilbert à Berlin (paru dans Paris qui Chante du 26 mars 1905) La légende précise : "Mlle Yvette Guilbert - Personnalités du monde musical allemand entourant la chanteuse française dans un salon de Berlin."
L'hotel Nègre Coste à Aix en Provence
"La Rive" - Maison d'Yvette Guilbert à Vaux-Sur-Seine (78) Yvelines (anc. Seine et Oise)
Aujourd'hui : 26 Avenue de Cherbourg
Yvette Guilbert
lle est née Emma, Laure, Esther Guilbert, 78, Rue du Temple à Paris, le 20 janvier 1865, fille d'Hippolyte Guilbert, d'origine normande (Saint-Lô), comptable et d'Albine Hermance Julie, née Lubrez, chapelière, d'origine flamande.
De six à huit ans, elle séjourne en Normandie. À l'automne de 1872, elle est au cours Archambault à Paris puis demi-pensionnaire à la pension Couard à Saint-Mandé.
À seize ans, elle est embauchée chez Hentennart, le couturier, et six mois après, elle est vendeuse au magasin du Printemps.
À vingt ans, en novembre 1885 : elle rencontre Charles Zidler, directeur de l'Hippodrome (et le créateur du Moulin Rouge - voir aussi à French Cancan) et est engagée comme comédienne dans la tournée d'été de ses Variétés.
En 1888, elle est aux Bouffes du Nord, toujours en comédienne mais elle se tourne peu à peu vers la chanson.
En 1889, elle passe en lever de rideau à l'Eldorado mais personne ne veut de cette débutante qui n'est pas du genre à la mode. Même chose à l'Eden où on lui dit qu'elle n'aura jamais de succès. Elle s'exile à Lyon puis en Belgique où elle commence à en avoir un peu grâce à des chansons comme "La pocharde", car elle s'est lassée très vite du répertoire qu'on lui impose.
En 1890, elle est de retour à Paris, au Moulin Rouge (sic) mais sous le nom de Nurse Valéry ou quelques amateurs l'admirent mais pas plus.
Reprenant son nom et après avoir fait la connaissance de Xanrof, de Jean Lorrain, après surtout, avoir emprunté ici et là, d'Aristide Bruant, entre autres, elle finit par développer un personnage (robe verte, longs gants noirs, chevelure rousse) qui commence à percer. Au Divan Japonais, entre autres :
"J'arrivais au Divan (en mai 1891), descendant d'un fiacre découvert qui m'apportait du Moulin Rouge toute habillée, toute maquillée. Quelques fidèles du Moulin suivaient mon fiacre, pour venir au Divan m'écouter dans un tout autre répertoire, car au Moulin, entre huit et neuf, c'était une clientèle de petits commis du quartier, et je n'osais pas risquer ces mêmes couplets que j'offrais à la clientèle artiste des peintres, sculpteurs, écrivains qui se réunissaient chez Jehan Sarrazin. Pour fêter ma venue, Sarrazin faisait deux soirées : une, de huit à dix, avec ses artistes ; une autre, de dix à douze, soirée d'Yvette. Imaginez une petite salle de café de province, basse de plafond, et pouvant contenir, en les tassant, cent cinquante à deux cents personnes. On y chantait. Une estrade plantée au fond de la salle à 1,50 mètre du sol, ce qui m'obligeait à faire attention de ne point lever les bras sans besoin absolu, car alors mes mains se cognaient au plafond, ce plafond où la chaleur de "la rampe" à gaz montait si forte qu'elle nous mettait la tête dans une fournaise suffocante ! Les chanteurs n'y séjournant que cinq à dix minutes s'en tiraient, mais moi, c'était cinquante à soixante minutes qu'il me fallait endurer ce supplice, lequel, terminé, m'obligeait "à me sécher" une demi-heure, avant d'oser affronter l'air froid de la rue, collée que j'étais, dans ma robe, les cheveux ruisselants de sueur" (Y. Guilbert, la Chanson de ma vie)
Mais c'est à Müssleck du Concert Parisien qu'on doit le grand début d'Yvette Guilbert, à Müssleck qui... se laissa tenter par son approche publicitaire :
Yvette Guilbert, celle du Divan et non du Moulin Rouge, proposa, en effet, à ce cher Auguste, sur le point de déposer son bilan, de se lancer elle-même :
"Voilà, dis-je à Müssleck sans préambule : j'ai du talent, je vous apporte mille francs pour me faire des affiches inondant Paris. Vous m'annoncerez simplement avec la date de mes débuts à votre concert. Je le regardais, médusée... Il était gros, ventru, obèse terriblement, sa face rougie, réjouie, craquait de santé, ses yeux clignotants, éternellement pleins d'eau, si terriblement crapules, si cocassement "fripouillards" quand il était sincère, devenaient tout à coup honnêtes et largement ouverts quand il avait à tromper quelqu'un, une main sur le cœur et son brûle-gueule dans l'autre." (Op. cité.)
Vingt mille affichettes de 40 centimètres furent ainsi dans tout Paris, avec cette inscription :
Yvette Guilbert. La diseuse fin de siècle. Le 5 octobre 1891 au Concert Parisien.
Le résultat fut prodigieux. - Quatorze mois plus tard, Müssleck avec qui Yvette ne s'était jamais entendue, dut assigner sa vedette pour le paiement d'un dédit de cent mille francs, parce que celle-ci s'était produite sur une autre scène même si son contrat lui permettait. Müssleck perdit son procès et enfin, libérée, cette "diseuse", en demande partout, entra à la fois aux Ambassadeurs, à la Scala et dans l'histoire.
Immortalisée à partir de 1893 par Toulouse-Lautrec ("Petit monstre, mais vous avez fait une horreur !"), c'est en grande vedette qu'elle promènera jusqu'en 1899 sa silhouette partout en France, en Angleterre, en Allemagne, aux États-Unis...
Gravement malade (à partir de 1900), elle disparut mais finit par remonter sur scène - elle est au Carnegie Hall de New York en 1906 - surtout à partir du début des années dix (ex. : Casino de Nice en 1913) avec, cependant, un répertoire tout à fait nouveau, composé essentiellement de chansons plus "littéraires" : poésies anciennes et modernes, chansons du Moyen-âge, etc... pour ne mourir que des années plus tard, non sans, avant, avoir refait les grandes salles d'Europe et d'Amérique, ouvert une école de chant à Bruxelles, tourné dans divers films, rédigé des chroniques, fait de la mise en scène, animé des émissions de radio, écrit des souvenirs, d'autres livres dont un sur l' "Art de chanter une chanson"...
Décédée à l'hôtel Nègre Coste, (cours Mirabeau, Aix-en-Provence - 13 - Bouches du Rhône), le 3 février 1944, elle est inhumée, depuis 1946, à Paris, au cimetière du Père-Lachaise.
Voir également la notice biographique de Jules Martin dans son livre Nos Artistes, en 1895.
De sa carrière, la chanson française (qui lui doit beaucoup) a surtout retenu d'Yvette Guilbert la première époque, celle du "Fiacre" de Xanrof, celle où elle chantait "Fleur de berge" de Jean Lorrain ou "Madame Arthur" de Paul de Kock mais, de cette époque, il ne nous reste que des enregistrements (très inégaux), des affiches et des photos. Ce n'est qu'à partir des enregistrements qu'elle fera plus tard et des quelques films qu'elle a tournés par la suite mais presque exclusivement de son tour de chant dela deuxième période qu'on peut s'imaginer l'impact qu'elle a eu sur la chanson d'avant 1900 avec ses gestes et sa façon de chanter en faisant des clins d'œil.
Elle fut, en quelque sorte, le précurseur de chanteuses qui allaient suivre cinquante, soixante ans après : des Jujube et des Barbara, par exemples, qui, la dernière surtout, n'hésitera pas à reprendre, soixante-dix ans après leurs créations, quelques-uns de ses succès :
"Ça ne t'empêchait pas d'fair' de p'tit's bombances Et d'convoiter même un autr' bien que l'tien Tu m'en as fait voir un peu d'tout's les nuances Tu trouvais, d'ailleurs, que l'jaune m'allait bien Et quand j'pense que, moi, j't'ai été fidèle ! Dans la vie d'un' femm', ça compte ! En tout cas L'fait est assez rar' pour qu'on s'en rappelle Et c'est un' bêtis' qu'une femm' noublie pas !"
Yvette Guilbert a enregistré ses chansons pendant presque quarante ans, depuis le presque tout début du cylindre commercialisé (et gravé individuellement) aux disques enregistrés électriquement, laissant ainsi une trace bien précise d'une voix humaine dans le développement des techniques d'enregistrement.
Malheureusement, son style datait déjà à partir de 1900 ; axée sur l'interprétation "intégrale" (avec gestes, mimiques, coups d'œil, déhanchements, etc.) et desservie par un filet de voix (quoique la diction ait été impeccable mais pas toujours) elle nous paraît aujourd'hui étrange parce que peut-être trop près du texte qu'elle persiste à vouloir, tout au long de sa vie, réciter trop souvent avec toutes les nuances possibles contrairement à Mayol (ou même son contemporain, Bruant) pour qui la chanson se veut d'abord et avant tout un air qu'on retient et qu'on pourra fredonner longtemps après qu'on aura oublié les paroles.
Nous donnerons dans les pages ci-jointes quelques exemples de ce style unique dans huit enregistrements faits à des époques fort différentes et qui donnent en même temps une idée de l'évolution des techniques d'enregistrement de 1897 à 1934 :
Dans sa "Chanson sous la IIe république" (voir à Bibliographie), Serge Dillaz dit "qu'elle fut sans doute la première interprète moderne".
"Je pense toujours en l'entendant, à quelque troublant automate, à une dame en cire d'Edgar Allan Poe qui aurait un phonographe dans le ventre." dit Henri Lavedan cité par Chantal Brunswick - 100 ans de chanson française (voir à Bibliographie)
Pour leurs parts, Gilbert Salachas et Béatrice Bottet - Le guide de la chanson contemporaine (voir à Bibliographie II) ajoutent "qu'elle n'a pas toujours été comprise et souvent admirée à contretemps."
En ce qui nous concerne, nous référons le lecteur aux nombreuses affiches et croquis qu'a dessinés d'elle Toulouse-Lautrec. - Des caricatures ? - Peut-être pas.
Parmi son œuvre écrite
Outre des mémoires et des souvenirs - voir ci-dessous -, Yvette Guilbert, a écrit plusieurs articles de journaux, des chansons (petits formats) et fait publier des recueils divers :
Comment on devient une étoile, monologue. Paris, P. Dupont, 1893.
La vedette. Paris, H. Simonis, 1902
Les Demi-Vieilles. Paris, F. Juven, 1903.
Légendes dorées (épisodes de la vie de Jésus recueillis et reconstitués par Yvette Guilbert) Paris, 1914
L'art de chanter une chanson. Paris, Grasset, 1928.
Mes lettres d'amour. Paris, Denoël & Steele, 1933 (publiées d'abord en Allemand, en 1928).
Autres temps, autres chants. Paris, Robert Laffont, 1946.
Parmi ses recueils
Chansons de la Vieille France, recueillies et chantées par Yvette Guilbert, reconstituées et harmonisées par Maurice Duhamel. Paris, F. Juven, s.d.
Quant à ses mémoires et souvenirs, l'essentiel se retrouve dans deux volumes :
La chanson de ma vie. Paris, Grasset, 1927.
La passante émerveillée. Paris, Grasset, 1929.
qui furent précédés d'un article paru dans Fémina en 1904 sous le titre de : Du théâtre au théâtre en passant par le Café-concert.