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1906


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© Fonds0 SACEM




Dessin de Georges Redon (1869-1943)
pour Le Rire n° 11 du 19 janvier 1895.

Vincent Hyspa

"Je suis né au pied d'une tour dans une ville latine, près de la mer.Après une ruine rapide due à de glorieuses inventions, telles que : le tabac sans fumée, l'éponge en porcelaine, le saucisson en poudre, le chapeau de paille humide (article d'été), je débutai, il y a environ dix ans au CHAT NOIR et me voilà maintenant à la Purée. - Que d'espace parcouru depuis dix ans par la navigation aérienne..."

Vincent Hyspa, circa 1900.

uteur, compositeur, humoriste, poète, interprète, comédien, pince-sans-rire et personnalité montmartoise, que d'anecdotes on aurait à raconter à son sujet !

Léon de Bercy dit, à son sujet, qu’il était, avec son pantalon à la turque, sa redingote persane, sa voix caverneuse, sa face de mandarin barbu et son impassibilité de fakir, un redoutable blagueur et qu’il avait, en plus, un mépris absolu de la rime. (Montmartre et ses chansons – 1902)

Vincent Ernest Hyspa est né à Narbonne (11 - Aude), le 7 novembre 1865 (sans faire exprès, comme il le disait lui-même), il fut très tôt destiné, par ses parents, à la magistrature, mais, ayant acheté par hasard, un jour, alors qu'il étudiait la philosophie au lycée de Montpellier, un numéro du Chat Noir, il fut enthousiasmé par le ton de ce canard et composa un poème, Le philosophe,qu'il fit parvenir à la direction. On le publia immédiatement. Il s'abonna,bien sûr et continua d'envoyer des poèmes de son cru jusqu'à ce que, en 1887,il se rendit à Paris pour y passer sa licence en droit.

Le soir-même de son arrivée, il se présenta rue Victor-Massé. Accueilli avec étonnement par Rodolphe Salis qui l'avait imaginé beaucoup plus vieux, il y devint un régulier, d’abord en tant que client, puis, un soir, on lui demanda de remplacer Mac-Nab, malade, Mac-Nab dont il connaissait tout le répertoire. Il en fut quitte pour être sa doublure pendant presque un an. Las, d'être un sous-Mac-Nab, il déserta le Chat Noir au profit de l'Auberge du Clou où il resta trois ans à réciter et parfois chanter ses poèmes, monologues et chansons avant de revenir au bercail où il eut, lors de sa première prestation, un succès foudroyant en récitant son célèbre Ver solitaire :

Je n'ai jamais connu mon père, ni ma mère...
Je suis le pauvre ver, le pauvre ver solitaire.

Salis en fit un Belge (à cause de son accent) qui, vêtu, alors, d’une redingote à longs pans, d’un gilet montant, d’une cravate flottante et d’un pantalon à la hussarde, devint vite connu dans tout Montmartre, mais également et surtout à cause de son sens inné de la parodie.

Du Chat Noir, il passa au Chien Noir, puis aux Quat'z'Arts, aux Noctambules, à la Lune Rousse, etc. où il obtint, partout un vif succès et ce,jusqu'à la fin des années vingt, quand il décida de passer du côté du cinéma et où sa silhouette en fit un personnage inoubliable.

Une dizaine de films, entre 1931 et 1938 :

On le retrouve ainsi, en vieil orateur, dans À nous la liberté de René Clair (1931), en buste ou plutôt en statue (sic) dans Il est charmant deLouis Mercanton - où Henri Garat et Meg Lemonnier se partage la vedette (1932) et dans Crainquebille de Jacques de Baroncelli (1933) où il joue le rôle du Docteur Mathieu. - C'est lui lephotographe dans La belle équipe deJulien Duvivier, film dans lequel Charpin fut un délicieux gendarme (1936) et encore lui, en proviseur, dans L'étrange Monsieur Victor de Jean Grémillon, un des films-clés de Raimu (1938) et toujours lui, reprenant son rôle de photographe dans Le petit chose de Maurice Cloche, malheureusement aujourd'hui presque oublié (1938).

Michel Herbert dans La chanson à Montmartre  (La table ronde 1967 - Préface de FrançoisCaradec †) dit qu’il faudrait un volume pour rapporter tous les "mots" d'Hyspa.

Parmi ceux qu’il cite :

Un jour, au Chat Noir, Salis lui désigne un financier véreux accompagné d'un petit garçon. "C'est son fils, explique le gentilhomme cabaretier. Il va sur ses dix ans. - Alors, constate Hyspa, il va bientôt commettre sa première escroquerie."

Plus tard, Bercy, voyant Hyspa pénétrer dans un immeuble de la rue des Abbesses voisin de la station de fiacres, lui demande : "Tiens ! tu restes donc là,maintenant ? - Oui, dit l'autre. C'est à cause de ma santé. Le médecin a assuré que l'air des sapins me ferait du bien. Or, ici, j'en ai toujours huit ou dix en stationnement sous mes fenêtres."

Un client se plaint devant ces deux mêmes chansonniers de la médiocrité des spectacles de l'Opéra. Martini, qui avoue être brouillé avec la musique laquelle, dit-il, le lui rend bien, coupe court. "Excusez-moi, mais je ne vais jamais à l'Opéra parce qu'on y entend pas les paroles. - Il ne manquerait plus que ça !", soupire Hyspa.

Lors d'un gala de l'Association Amicale des Chansonniers de Cabaret au Théâtre des Variétés, Léon Michel s'affaire. Il a été architecte et, comme il descend des cintres par une échelle de fer, il déclare : "Ça me rappelle mon ancien métier. - Orang-outang ?", s'informe Hyspa.

Quand Hyspa mourut, le 12 octobre 1938 à Villiers-sous-Grez (77 - Seine-et-Marne), Jean Bastia lui dédia quelques vers émouvants :

Tel il s'avançait d'un pied menu
Sur le tréteau, tel il est venu
Sans faire de bruit, tel il s'en va.
Tout est doux et calme chez Hyspa.

Et André Warnod dans Le Figaro du 13 octobre 1938 :

VINCENT HYSPA EST MORT

Vincent Hyspa est mort. C'est un des personnages les plus spirituels et les plus aimables de Montmartre qui s'en va. Non seulement il avait vu na?tre le Montmartre des cabarets et des chansons, mais encore il a contribué puissamment à cette naissance. Il naquit à Narbonne. Au lycée de Montpellier vers 1883, dans la classe de philosophie, il devint un fidèle lecteur du Chat noir, le journal que commen?ait à publier Rodolphe Salis. C'est en "fidèle lecteur" qu'il correspondit d'abord avec Salis et puis il vint à Paris pour faire son droit, monta d'abord rue Laval, au "Chat noir" et y resta avec un cachet de quarante sous et un dîner qu'il ne touchait que les soirs de représentations. Il récitait le Ver solitaire et quelques parodies de Delmet. Après avoir fait partie d'une tournée de chansonniers sans Rodolphe Salis, il quitta le Chat noir et alla fonder en 1892 le Chien noir au Nouveau-Cirque, avec Dominique Bonnaud, Georges Frageroles, Hugues Delorme, Georges Chepfer, Théodore Botrel et quelques autres. Par la suite, il a été au Tréteau de Tabarin, à la Bo?te à Fursy, au Carillon, aux Noctambules, au Moulin de la Chanson, partout enfin, et tout dernièrement ce fut la dernière fois que nous l'avons entendu à l'A.B.C. Avec ses petits yeux aigus, sa fa?on de plisser la paupière, son accent très particulier et sa bonhomie cachant une ironie malicieuse, il chantait des couplets composés dans une forme parfaite avec une gr?ce extr?me. C'était un pince-sans-rire impitoyable et narquois. Des chansons comme "le Toast du président", "les Russes à Paris", "le Soldat Réséda" et tant d'autres sont de petits chefs-d'œuvre. Personne n'a oublié le portrait qu'il traçait du président Fallières "fleur délicate, des p'tits pois en cravate". Il excellait aussi à faire de petites conférences humoristiques, il publia un livre : L'éponge en porcelaine. Vincent Hyspa est très représentatif d'une époque qui disparait de plus en plus o? l'esprit se rait d'une élégance très fine. Vincent Hyspa était un poète dont la Muse avait une ironie charmante.

 


Parmi les chansons dont il a écrit les paroles, notons, au passage :

"L'omnibus automobile"
(Musique d'Érik Satie)

C'était pendant l'horreur du Quatorze Juillet,
Il faisait chaud, très chaud,sur la place Pigalle.
Un gros ballon, sans bruit, gravement ambulait
Par la route céleste unique et nationale.
Il faisait soif, très soif et le petit jet d'eau,
Esclave du destin, montait de bas en haut.

Il était environ neuf heures trente-cinq,
La douce nuit venait de tomber avec grâce.
Et le petit jet d'eau pleurait sur le bassin,
Lorsque je vis passer au milieu de la place
Un omnibus, automobile, entendez-vous,
Avec de grands yeux verts et rouges de hibou.

L'omnibus était vide et l'écriteau "Complet"
Détachait sur fond bleu ses sept lettres de flamme.
Je suivis au galop le monstre qui passait
En écrasant avec des airs d'hippopotame
Des femmes, des enfants, des chiens et des sergots.
Des députés et des tas d'autres animaux.

Enfin il s'arrêta place de l'Opéra
Et je vis qu'il était chargé de sacs de plâtre.
Ces sacs, me dit le conducteur, ces sacs sont là
Pour remplacer le voyageur acariâtre;
Nous faisons des essais depuis plus de vingt mois
Et ces sacs sont pour nous autant de gens de poids.

Mais pourquoi, dis-je au bon conducteur de l'auto
Qui venait d'écraser ces piétons anonnymes,
Pourquoi des sacs plutôt que ce cher populo ?
C'est, me répondit-il, sur un ton de maxime,
C'est, voyez-vous, pour éviter des accidents
De personnes qui pourraient bien être dedans.

C'était pendant l'horreur du Quatorze Juillet,
Il faisait chaud, très chaud,sur la place Pigalle.
Un gros ballon, sans bruit,gravement ambulait
Par la route céleste unique et nationale.
Il faisait soif, très soif etle petit jet d'eau,
Prisonnier du destin, montait de bas en haut.

"La belle au bois dormant"
(Musique de Claude Debussy)

Des trous à son pourpoint vermeil,
Un chevalier va par la brune,
Les cheveux tout pleins de soleil,
Sous un casque couleur de lune.
Dormez toujours, dormez au bois,
L'anneau, la Belle, à votre doigt.

Dans la poussière des batailles,
Il a tué loyal et droit,
En frappant d'estoc et de taille,
Ainsi que frapperait un roi.
Dormez au bois, où la verveine,
Fleurit avec la marjolaine.

Et par les monts et par la plaine,
Monté sur son grand destrier,
Il court, il court à perdre haleine,
Et tout droit sur ses étriers.
Dormez la Belle au Bois, rêvez
Q'un prince vous épouserez.

Dans la forêt des lilas blancs,
Sous l'éperon d'or quil'excite,
Son destrier perle de sang
Les lilas blancs, et va plus vite.
Dormez au bois, dormez, la Belle
Sous vos courtines de dentelle.

Mais il a pris l'anneau vermeil,
Le chevalier qui par la brune,
A des cheveux pleins de soleil,
Sous un casque couleur delune.
Ne dormez plus, La Belle au Bois,
L'anneau n'est plus à votre doigt.