TABLE DES MATIÈRES
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L'Amérique
Premier voyage en Amérique il y a 33 ans (1894)
Prédiction de Mme de Thèbes
44.000 kilomètres en Amérique
En Amérique pendant et après la guerre
Franchise
Le crépuscule des âmes - Le mariage en Amérique
La femme et l'amour en Amérique
La femme enfant
La jeunesse américaine
Le bluff "the greatest in the world"
Les Mécènes
Une drôle de visite
Le seigneur des chambres noires
Les invitations à double but
Un dîner chez Mrs Rita L.
Le bluff de la charité - Une lettre bouleversante
Le bluff de la charité
Deux glorieuses créatures
Mon "American tragedy"
Mon école à New York
Conclusions de l'Amérique


L'Angleterre
Ma première visite à Londres
Audiences et séjours à Londres
Le singe Consul et moi
Le poète Simon, mon Ronsard
Bernard Shaw ou le penseur éperdu


La Belgique


La Hollande


Du Danemark en Suède et Norvège


L'Allemagne (1897 à 1928)


L'Autriche
Vienne


Hongrie
Budapest


Tchécoslovaquie
Prague


La Pologne
Varsovie
De Cracovie à Varsovie


Russie (décembre 1898)


Roumanie
Bucarest
Jassy


L'Orient
Constantinople (Byzance)


En route pour la Grèce


L'Égypte
Alexandrie
Le Caire


L'Italie
Milano


La Suisse


L'Espagne - Le Portugal


La Côte d'Azur et l'Afrique française


Conclusion

Yvette Guilbert


L'Allemagne (1897 à 1928)

Être artiste ! Qu'est-ce qu'être "artiste" ?
C'est le don de soi, c'est la sublime et impudique confession d'une âme, l'étalage tout cru de ses désirs, la mystérieuse confidence de ses aspirations, et c'est, surtout, l'explication de tous ses dégoûts par toutes ses préférences. Seulement, voilà... L'artiste doit tomber sur des juges clairvoyants, ayant des oreilles qui comprennent' au delà de ce qu'elles entendent, et des yeux qui voient plus loin que ce qu'ils regardent...

Le soi-disant cynisme d'un Forain n'est qu'une apparence savante déguisant le coup de fouet dénonciateur terrible, des_ vices de ses modèles devenus ses victimes.

Les images perverses d'un Lautrec sont celles d'un médecin-légiste. Les héros damnés d'un Baudelaire, les vierges louches et tourmentées d'un Laforgue, autant de cris douloureux de poètes "purifiants" et révolutionnaires. Tourmentes effroyables, tourmentes tragiques, révolutions, cata.clysmes perpétuels entre la Chair et l'Esprit, hontes, moqueries, blagues grivoises, allusions libertines, satires érotiques, puis appels au secours, douches de la Raison, apaisements de la Pitié, soins tendres du cœur, voilà selon les lyres des époques, des poètes et des chansonniers tout ce qu'exprima la chanson dite "grivoise", qui fut celle de mes débuts. Paris s'en régala sans plus réfléchir et s'en amusa, volontiers chatouillé, avalant sensuellement, voluptueusement, les épices gauloises de mes couplets comme autant de dragées aphrodisiaques - le Français est né grivois, rien n'était donc plus naturel - mais l'Allemagne s'intéressa beaucoup moins au débraillé de mes grivoiseries qu'à leur interprète, et là fut ma surprise, ma bonne, splendide surprise ! Là on avait compris ce que je n'avais jamais voulu dire, à savoir que : jamais je ne chantais une chanson graveleuse que lorsque sa rouerie exigeait une "science spéciale" d'interprétation - je délaissais les autres. A Paris on exaltait mes textes, en Allemagne mon art XXX. A Paris XXX, j'étais 1'Yvette d'un nouveau répertoire; en Allemagne, l'artiste d'un art nouveau ! Mon talent d'interprète primait tout! Jour de Dieu, quelle fête ! Mon livre, La Chanson de ma Vie, a dit mes luttes pour établir à Paris mon premier et mon second répertoire. C'est à l'Allemagne que je dois les réussites de mes différents efforts, de toutes mes audaces artistiques, de toutes mes évolutions, de toutes mes évasions !

Sans l'Allemagne, où les aurais-je tentées ? La critique allemande fut toujours, toujours, très attentive à mes rapports, ponctuant avec précision tous les points essentiels- de mes progrès, à mesure que mes volontés studieuses les développaient et les créaient. Seule, l'Allemagne, en des milliers de pages (si je réunissais mes articles, j'aurais de beaux volumes !) ne cessa d'analyser sérieusement, littérairement, artistiquement les apports interprétatifs des littératures populaires et autres qui composaient mes nombreux et variés programmes de siècles de chansons, l'humanité à travers les âges. Paris ne , s'intéressa qu'à celle de, son "Boulevard".

C'est aux "critiques" allemands, supérieurement généreux, que je dois, depuis trente ans, d'avoir toujours trouvé des publics instruits par eux, toujours empressés à m'entendre, grâce à l'importance qu'ils ne cessèrent de donner, je le répète, à chacune de mes visites et aujourd'hui encore mes concerts en Allemagne restent de grands galas. Quelles audiences ! Quelle compréhension ! Quelle pénétration ! Quelle sympathie ! Quels encouragements perpétuels ! Quels enthousiasmes pour les masques de notre ironie à travers le carnaval des siècles.

Ma dignité, mon honnêteté, ne mêlèrent jamais les circonstances politiques aux objets de ma gratitude. Elle est ce qu'elle restera. S'il est vrai que des artistes allemands renièrent laidement les bravos de France pendant la guerre, avec ou sans l'idée de les retrouver en temps de paix, moi je me suis épargnée cette honte, cette goujaterie, et la dignité de mon silence, vis-à-vis de l'Allemagne pendant nos quatre ans de luttes endeuillées, a fait de moi une des nombreuses victimes des mouchards et des dénonciateurs qui déshonorèrent notre corporation d'artistes, non seulement en France, mais en Amérique et partout où ils espéraient en tirer profit.

La paix fut faite en 1918. Je fus la première artiste française à revenir à Berlin en 1925. J'attendis huit ans - je réfléchis huit ans, puis résolus d'aller la première, au feu de la troublante rencontre... Mais craignant une mauvaise surprise, sait-on jamais ? "Il suffit d'un seul cochon qui crache à l'Église, pour souiller robe blanche bien mise", disait un ancien proverbe, je fis donc d'abord un voyage de touriste, me réservant d'y revenir officiellement en "artiste" si l'atmosphère le permettait "à la Française", car pour rien au monde je n'aurais laissé souiller ce titre-là.

En quarante-huit heures, je fus fixée. Mon arrivée à Berlin se sut très vite, anciens amis, artistes, journalistes, tous, tous me convainquirent qu'il m'était réservé d'être le Pont de la Concorde, de réouvrir les possibilités aux artistes et écrivains Français pacifistes, chrétiennement pensants.

Je cherchais nuit et jour le joint intelligent pour jeter "tout de suite" ma passerelle d'essai en attendant le vrai "Pont de la Concorde"... et je trouvais.

Reinhardt avait eu la gentillesse de m'envoyer des loges pour tous ses théâtres.

J'avais fait là connaissance avec d'étonnants comédiens, nouveaux venus depuis la guerre, et j'écrivis à Reinhardt que je désirais remercier ses collaborateurs en organisant pour "eux seuls" une matinée de chansons de France.

Je leur rendrais, de cette façon, les représentations offertes à moi par eux et par lui.

Reinhardt comprit.

Reinhardt comprit si bien que, sans un seul mot, il me pressa les mains, les yeux attachés aux miens, et dit ce simple mot : "Bien".

Il mit Komœdie, son plus beau théâtre, à ma disposition, mais s'il invita toutes ses troupes, il y joignit toutes les ambassades, celle de France comprise, et toutes les sommités de Berlin ! Jamais je n'oublierai "nos émotions" ! La salle est bondée à craquer. J'entre en scène, la gorge tout à coup si serrée (car les ovations n'en finissent pas) et bouleversée que je suis par cent mille pensées qui m'assaillent à la minute, je ne puis sortir une note! Alors, suivant mon impulsion, je parle. Qu'est-ce que j'ai dit ? Je n'en sais rien ! Ce que mon cœur de Française devait dire, ce que, mon cœur d'artiste pouvait dire, et ce furent des bravos, des agitations, des acclamations; puis, tout à coup, un acteur de Reinhardt se trouva à mes côtés sur la scène, des fleurs à la main, il prononça des mots, des mots, que des bravos nerveux soulignaient, moi j'avais dû m'appuyer au piano tant j'étais bouleversée... Ne parlant pas l'allemand, je ne compris pas ce que me disait ce comédien, mais ses yeux et la façon émue dont il prit ma main et la baisa au grand trépignement du public, me renseigna sur la qualité de' son hommage.

Comment à cette minute ai-je chanté ? Seigneur, je n'en sais rien ! mais j'étais là et il me fallait commencer...

A la fin, de mon petit programme, je dis : "J'ai été si émue tout à l'heure, et c'est si compréhensible, n'est-ce pas  ... que je n'ai pas dû bien vous dire ce qui devait résumer mon geste de ce jour... voici: j'ai voulu reconstruire la passerelle cassée... j'ai voulu tenter la possibilité d'établir un nouveau pont, afin que des deux côtés les bonnes mains se retrouvent, et se rejoignent..." A cette minute précise, l'émotion fut indescriptible ! des mouchoirs sortaient de toutes les poches... on criait, on applaudissait, on ovationnait, les gens debout restèrent une demi-heure là, se bousculant..., d'autres quittaient leur siège pour s'approcher de la scène afin de me serrer les mains, de m'embrasser les mains, des femmes s'essuyaient éperdument les yeux et me disaient : "Merci ! Merci ! Que Dieu vous bénisse ! Ah ! que vous êtes bonne, Madame!" Quand, tout à coup, les larmes giclant de mes yeux, je vis debout dans une avant-scène, touchant le proscénium, une très vieille femme en deuil, la tête toute blanche qui me regardait,.. me questionnait de ses yeux désolés... sans dire un mot elle m'appelait, j e le sentais et j'allai à elle... elle voulut parler et ne le put... elle étranglait à se contraindre, quand, pour mettre fin à nos tortures je lui dis : "Dites, Madame, dites-moi comme à une seeur douloureuse de France tout ce que vous voulez me dire...". Alors, brisée d'émotion, elle me murmura presque gênée d'être entendue : "Je suis en deuil de mes quatre fils... expliquez-moi pourquoi j'ai une si douce, si heureuse émotion à vous voir ici, Madame..., et à vous saluer pour ce que vous faites..."

Haletante d'émotion, je mis mes lèvres sur sa main. Ah ! que cette vieille femme, cette vieille mère en deuil, me rappelant les nôtres, me bouleversa, mon Dieu !... De ma vie je ne l'oublierai.

Dans ma loge m'attendait l'ambassadeur et toute l'ambassade de France, tous aussi émus, aussi bouleversés que moi..., mais tous, tous rayonnant de joie et me remerciant : "C'est un grand service rendu à notre pays, Madame."

La presse fut admirable et, à une réception chez Mme Louise Wolff, l'organisatrice de la Vie musicale en Allemagne, avec laquelle depuis trente ans je fais mes affaires, je rencontrai Francesco de Mendelssohn qui organisa en l'honneur de mon retour un dîner suivi de réception dans sa splendide maison de Grunewald connue de tout Berlin; je retrouvai; dans l'élément mondain, le même sentiment ému de reconnaissance à la Française qui, la toute première, apportait la branche d'olivier ! Ceci se passait au mois d'octobre 1925. Plus tard Gémier, l'acteur, et Henri Berns tein, l'auteur, vinrent en Allemagne, puis enfin en ce juillet 1928, la Comédie-Française joue à Cologne. Dès janvier 1926, l'agence Wolff me fit donner une série de concerts, on s'arracha les places et l'enthousiasme public, cette fois, me prouva combien on me savait gré de mon geste. Je refis. une seconde apparition en octobre 1927 et visitai aussi les villes de province, l'accueil fut formidable partout. Enfin, enfin,. j'allai à Munich ! (malgré les conseils de quantité de gens)... Comme je fus, récompensée de ma bravoure, qui consiste à croire que toujours et partout où l'on va, dirigé par un sentiment noble et loyal, il transparaît et qu'aucun être n'y reste insensible, à moins d'être un coquin. Et j'avais tellement de bonheur de savoir que je faisais du bien à mon pays ! Je ressentais la joie du Christ apaisant les tempêtes en marchant souriant sur les flots, j'avais l'âme soulevée.

Ce fut en 1897 que, pour la toute première fais, je vins en Allemagne.

Depuis six ans, je chantais à Paris à la Scala, et mon directeur, M. Marchand, directeur aussi des Folies-Bergère, faisant chaque année quatre ou cinq voyages à Berlin, revenait chaque fois enthousiasmé. Il y allait chercher ses acrobates, ses "numéros" de toutes sortes, et c'était avec l'Angleterre, l'Allemagne qui fournissait alors tous les programmes des cirques et music-halls.

Marchand ne tarissait point d'éloges sur la propreté des trottoirs, des chaussées de Berlin, ce qui fut ma grande et première admiration car, à l'époque, Paris était si mal tenu que cela était pour nous un contraste formidable ! C'était le temps où l'on parlait d'organiser un nouveau service de voirie afin tout de même d'empêcher Paris de puer jusqu'à midi l'été, quand les ordures ménagères, jetées en tas sur les bords de tous les trottoirs, n'étaient jamais complètement enlevées par les boueux, qui les laissaient en panne quand leurs chariots trop pleins ne pouvaient plus les contenir ! Tous les journaux hurlèrent et, enfin, après de longs mois, nous eûmes les poubelles.

C'est juste en cette période de plaintes publiques que, revenant de voir Berlin, je subis, comme à chacun de mes retours de voyages, la visite de nombreux reporters, auxquels je criai. . ma joie d'avoir vu une ville entièrement lavée chaque nuit à grands jets, par des machines énormes XXX XXX des rivières sur les trottoirs et les chaussées et laissant, dès l'aube, la cité impeccable et brillante, je souhaitais à notre Paris pareille félicité ! Oh ! Seigneur ! quelle arme, quelle arme j'avais créée là contre moi ! Ne croyez pas que je blague... oui, oui, pendant la guerre, seize ans plus tard, c'est à ne pas croire, ma lettre ressortit, frauduleusemenL accusatrice, prouvant mon admiration de la nation ennemie, etc., etc..., et je reçus dix fois, quinze fois, anonymement envoyées, des coupures de certains canards, louches journaux, relatant ces mêmes beaux balayages de Berlin, auxquels on ajoutait toujours des commentaires de circonstance.

Ah ! Bêtise, que tu es riche, que ta famille est nombreuse, et que tes larbins faiseurs de chantage sont âpres au gain ! Ah ! ces profiteurs de tout !

Donc, en 1897, eu plein succès parisien, on demanda à mon directeur Marchand s'il croyait que j'aurais du succès à Berlin. Marchand, imperturbable, répondit : "Mon étoile aura du succès partout !" Alors, m'arrivèrent des propositions. Comme des millions de Françaises j'ignorais la culture allemande, et ne pouvais pas même envisager la possibilité que mes couplets, non seulement de langue française, mais d'esprit chatnoiresque, seraient compris en Allemagne, je riais et m'amûsais à l'idée de demander un prix fantastique (fantastique à l'époque) pour me dédommager e l'ennui que j'aurai: à chanter devant des étrangers ne me comprenant pas. Aussi à la praposition d'une série d'essai de dix soirées, je répondis :

- Oui... mais pour 30.000 marks.

L'impresario en resta XXX... 30.000 marks !!! pour dix soirs. Mon directeur Marchand eut le même choc quand je lui dis mes prétentions, et se mit à rire de bon cœur avec moi.

- Et qu'a dit l'impresario, Yvette ?

- Qu'il allait réfléchir.

- C'est fait, vous ne le reverrez pas, pensez donc, 30.000 marks !!!

Et de rire.

- Et s'il me les donne, Marchand ? qu'est-ce que vous direz ?

Il resta une minute silencieux, puis :

- Eh bien, après tout, il se peut qu'il vous les offre. Si oui, je vous prédis un fameux succès !

Je le regardai, ahurie.

- Non ? vous plaisantez ?

- Pas du tout ! Quand iriez-vous ?

- J'attends mon fiancé d'Amérique, mon mariage aura lieu en juin ou juillet. J'irai donc en Allemagne, si j'y vais..., vers décembre, après mes deux mois de rentrée à la Scala. Ça vous irait ?

- Très bien, dit Marchand. Mais vous ne tenez tout de même pas encore le fabuleux contrat, Yvette !

Trois jours après je le lui apportais signé.

Marchand me regarda avec des yeux admiratifs d'un comique intense !

En Allemagne comme à Paris, ce fut au Music-hall, à l'Apollo, que je fis mes débuts; le directeur M. Ziegra, était un grand bonhomme doux, paisible, avec une barbe à la Gambrinus. Il fut entendu que je donnerais d'abord une audition spéciale à la presse, et rien qu'à la presse. Il accepta toutes mes suggestions et, devant environ deux cents journalistes, je me fis entendre.

Cette audition reste dans mes souvenirs la frousse la plus humiliante qu'un être humain puisse avoir devant un effort à faire ! J'étais molle de lâcheté, effarée de peur, suante d'angoisse, car, soudainement, avait surgi en moi l'idée d'un fiasco possible, d'une presse gouailleuse, méchante peut-être... qui pouvait entacher mon succès parisien, et c'est, dix minutes avant d'entrer en scène, que je m'amusais à me désarticuler ainsi. J'avais déjeuné à onze heures, l'audition étant à deux heures, ma nervosité arrêta net ma digestion, mes intestins commencèrent à grincer..., un malaise physique m'empoigna... et c'est le visage blême, le sourire décomposé, la chair livide dans une longue robe noire toute perlée que je m'avançai en scène...

On m'a dit depuis que mes cheveux rouges semblaient des flammes au-dessus d'une tête de mort !...

Mon succès fut immédiat; alors, me remettant peu à peu, j'arrivai à la fin de mon programme ayant enfin remis un peu de sang sur mes joues. Il y eut une réception au foyer du théâtre, et je fus stupéfiée d'entendre parler non seulement français, mais d'écouter les critiques se documenter entre eux sur la date de la fondation du Chat Noir, un d'eux citait des vers d' Émile Goudeau, un autre parla de l'audace de Chatillon, un autre des couplets de Gille, et on vint me demander si je ne chantais pas " A Saint-Lazare" de Bruant, et " La Terre" qu'avait autrefois chanté Thérésa ! Je n'en revenais pas !...

Trois jours après, j'affrontai le public, j'avais eu soin de consulter la presse sur le choix à faire parmi toutes les chansons dites à l'audition, j'arrivais donc avec un répertoire de son goût, et soutenue splendidement par elle. La bataille devant le public fut aussi gagnée magnifiquement, et plusieurs grandes cités m'offrirent le même contrat que l'Apollo.

Des journalistes de mes débuts sont devenus de bons amis, tels que le cher et francophile Alfred Kerr, Goldman, Bolten-Beckers, Léo Leipziger qui est mort, comme le directeur du Berliner Tageblail d'alors, Arthur Levysohn. Aujourd'hui c'est Théodor Wolff, qui, pendant son long stage à Paris, était un ami de ma maison; je l'ai retrouvé charmant et accueillant, dirigeant à son tour le Berliner Tageblalt.

Dès mes tout premiers débuts, de 1897, des hommes de lettres vinrent à moi, et ce fut : Ludwig Fulda, traducteur de Molière et de Rostand ; Paul Lindau ; Paul Heyse, le poète qui m'écrivit une adorable lettre ! Je rencontrai des auteurs, dramatiques : Eugen Zabel, Gerart Hauptman, Félix XXX, Oscar Blumenthal, le poète Liliencron ; les grandes actrices : Else Lehman, à propos de laquelle j'écrivis une si enthousiaste lettre à Jules Claretie qu'il la publia ; la belle Agnès Sorma, qui vient de mourir ; Lily Lehman, la plus; pure des cantatrices ; Gertrud Eysoldt, si troublante ; Lilla Durieu et Massary et Pallenberg, Moissy, etc., etc...

Mme Bertens, si magnifique actrice ; Tilly Waldegg, si belle, si élégante et retrouvée veuve à Munich ces temps derniers.

Et les bons souvenirs des dîners artistes chez Mme Louise Wolff où, après les répétitions publiques de la Philharmonie, se réunissaient les dimanches, à table, les grands chefs d'orchestre : Weintgartner, Nikisch, Muck, Richard Strauss ; le pianiste d'Albert; Grunfeld, le celliste et son esprit du diable, Birnbaum qui mourut tragiquement, et Joachim et son quatuor! Quelle hôtesse adroite et intelligente est restée Mma Wolff ! C'est une des nombreuses allemandes adorant la France. Et quand, plus tard, quittant les music-halls, Apollo, Métropole, Wintergarten (comme j'avais quitté ceux de France), je me fis entendre à la Beethoven salle, à la salle Beclistein (salle de concerts), je crus devoir me joindre la société des instruments à vent, célèbre à Paris, et plusieurs fois celle des instruments anciens, composés alors des virtuoses connus : Henri Casadessus, Marcel Casadessus, Nanny, Desmonts, Marguerite Delcourt, la claveciniste, et Mme Dellerba. Le soir, après les concerts, c'étaient des réunions charmantes avec d'autres virtuoses de passage en Allemagne, tels que notre grand Raoul Pugno, le pianiste, notre Jacques Thibaut, Isaye, grands violonistes, et Caplet et Sarasate et Casals, au Palast Hôtel où les artistes français et autres descendaient.

Rien ne peut dire l'entrée de Raoul Pugno dans la grande salle à manger. quand, de loin, il apercevait l'un de nous ! De sa bonne voix de colosse qui traversait la salle comme celle d'un haut parleur, il nous saluait les bras ouverts et ne les refermait qu'arrivé enfin à notre table.

Tous les gens du restaurant en restaient bouches bées ! Sa voix couvrait toutes les voix pendant que son derrière couvrait deux chaises. Cher énorme Pugno, quel succès le public allemand lui faisait !

Je descendis de longues années en ce Palast Hôtel, logis des artistes et des princes. J'ai eu pour voisin de table le grand-duc Alexis et le grand-duc Vladimir de Russie, la duchesse d'Albany et son fils, le duc de Cobourg. Quand je tombai là si gravement malade qu'il fallut m'opérer, la duchesse gentille faisait chaque jour prendre de mes nouvelles. Le comte Zeppelin venait souvent déjeuner là, que de fois pendant la guerre j'ai tristement pensé à lui... l'air d'un rond de cuir endimanché avec un peu le visage de Lucien Descaves, et, quand le directeur, Gutcher, était en habit noir, à deux heures de l'après-midi, c'était signe que S. M. (l'empereur) et ses fils viendraient luncher dans le salon qui leur était réservé et dans lequel personne ne pénétrait.

C'est encore au Palast-Hôtel que j'ai vu Adolf Menzel,. le très célèbre peintre que chacun saluait quand il arrivait. Puis le vieux peintre Meyerheim qui, habillé comme un concierge d'école de province, ajoutait à sa mise étonnante de drôles et cocasses petites cravates que devait faire sa femme avec ses anciens jupons... c'était adorable de naïveté ces petites rosettes de chien, au cou du brave géant Meyerheim, et quand on arrivait chez lui, on entrait dans une sorte de palais où des choses de toute beauté s'entassaient placées avec goût (ô mystère !), et l'on se demandait s'il était bien le locataire de l'endroit.

Et les ans sont passés... rapides et terribles, mais l'amour de la vie reste plus fort que la haine des hommes et il faut réapprendre à sourire. Enfin, aujourd'hui, ce 5 janvier 1928, où j'écris ces lignes, les mêmes possibilités artistes, éclectiques, me sont toujours offertes en Allemagne, alors qu'elles me sont défendues à Paris, puisque ceux qui actuellement m'engagent à prix fixe dans leurs music-halls et cinémas sont englués à mon répertoire d'il y a trente ans, et me font, par lettres, défense d'en sortir ! C'est que, m'a confié. M. Dufrenne (directeur du music-hall : L' Empire) au dernier banquet des éditeurs de chansons, les publics "actuels" des music-halls et cinémas ne sont plus ceux des cafés-concerts d'autrefois, ceux d'aujourd'hui ne comprennent rien à la finesse, à l'esprit élégant, à la blague raffinée. C'est pour cette raison, m'avoua-t-il, qu'il ne vient jamais entendre mon second répertoire à la salle Gaveau, ce répertoire que je chante dans le monde entier. "Je sais, dit-il, je sais le succès qui vous accueille avec ces vieilles chansons de France, mais, que voulezvous, moi, ma clientèle est loin d'être la vôtre..." Et il a raison ! Et voilà bien notre grand malheur, à nous, artistes, chanteurs de couplets. Nous n'avons plus d'endroits créés spécialement pour y abriter "la chanson" comme nous en avions autrefois ; alors, peu à peu, on ne chante plus, et je reste la seule'à m'entêter à tendre des filets à nos trésors qu'on jette à l'eau. J'y gagne grande gloire et superbement ma vie, c'est vrai, et si je grogne c'est de voir imbécilement dédaigner mes bouées de sauvetage, auxquelles il faudra bien qu'on s'accroche un jour, quand on sera à moitié asphyxié par l'ordure et la bêtise.

Je me souviendrai toujours d'une tournée que je fis, ayant engagé deux chansonniers en vogue des cabarets parisiens : Marcel Legay, Montoya et les acteurs Mévisto, Eugénie Nau, Irma Perrot, pour jouer de petits actes éprouvés à Paris, avec comme chanteurs Villé et sa femme Dora ; Villé avait fait les grands soirs du classique Éden Concert, et était encore, vers 1885, un grand diseur de Paris. Ce fut il y a vingt-cinq ans qu'eut lieu ce voyage en Allemagne ; ce fut un fiasco, Marcel Legay, avec sa redingote pittoresque et légendaire, sembla aux Allemands du dernier comique, et s'il leur parut "convaincu" comme auteur, sa façon, sa technique de chanteur les effara ! Montoya, sans voix, leur sembla un "littéraire" de modeste valeur ; quant à Villé, qui chantait faux atrocement, ce fut un désastre ! Le titre de la tournée : "Montmartre en ballade", ne me donna qu'une joie : une belle affiche de Léandre. J'y perdis plus de 50.000 francs !

Ce fut à Munich qu'il arriva une amusante farce à Montoya. Un grand bal avait été organisé par les peintres de Munich et cinq ou six cents invitations avaient été lancées. Toutes les jolies actrices étaient de la fête. On m'invita avec mes collaborateurs et nous voilà dans les flots de la jeunesse joyeuse., Montoya, flirteur, tout à coup voulut demander à une belle artiste comment elle s'appelait, et, ignorant l'allemand, il avisa quelqu'un : "Pardon, Monsieur, comment dit-on en Allemand Mademoiselle, comment vous appelez-vous ?" L'autre, farceur, lui écrivit sur sa carte une phrase à prononcer. Montoya la lit et la prononce telle qu'on le lui a dit. La dame l'écoute effarée lui débiter cette phrase, le regarde et lui lâche le bras, le laissant en plan. Après quelques essais de ce même genre dans la même soirée, et ne comprenant rien qui lui arrivait, Montoya nous assura que vraiment ces Allemandes étaient bien grossières.'et sortant sa carte de son gousset, il la lut à haute voix. De gros éclats de rire autour de nous le laissent déconfit, car on lui explique qu'il a dit à ces femmes "Jolie Madame... Combien ?"

Un farceur avait joué de sa bonne foi ! Du coup, Montoya, son éternel mouchoir épongeant son éternelle sueur, devint livide ! Qui n'a pas vu suer Montoya ignore ce qu'étaient ses quatre cols par soirée, son visage semblait une motte de beurre exposée au soleil d'août.

Munich ! ville du musée du beau moyen âge rendu vivant. Trésors cherchés, accumulés et mis dans leurs cadres, architecture, ambiance récréée. Foi, Poésie, Luxe, Art, Peinture, Sculpture, Orfévrerie. Le Ciel et la Terre des Êtres, au temps des, cathédrales, chants gothiques des âmes - nous, avant nous - et perdus avec nous - romancero de le chevalerie, bouleversante collection de tout ce qui fut la vie au temps des donjons et des forts, Chambres parées des Isabelos et des Dœtte, salles où des Jean Renaud revenaient des armées, statues de bois des pèlerins coquillés, partant outre-mer, caparaçons dorés, argentés, des seigneurs de la vieille noblesse, quelle prolongation de la vie vous nous apportez ! Visiter Munich ! Et visiter Munich (avant l'affreuse guerre), quelles délices c'était ? Frapper au palais du peintre Lenbach, entrer chez Stuck et voir ces somptueux ateliers dignes des grands seigneurs de la Renaissance s'ouvrir par l'artiste à l'artiste, quel chic cela avait ! Et, dans cette ville adorable, enjardinée, enguirlandée de tous côtés, s'en aller baguenauder et chercher de l'œil du chasseur "l'objet d'art:" de la saison, que c'était amusant ! Et les beaux parcs et les splendides environs et, l'été, ces colonies d'étrangers de tous les coins du monde, et ces spectacles populaires, quand les paysans, danseurs encerclés de guirlandes de feuillage, arrivaient le soir en masse des villes voisines au son de leur fanfare portant leurs belles bannières enrubannées.

Quel plaisir délassant, enfantin, j'y prenais ! Et chez Reinhardt où Massary distinguée, chantait la belle Hélène de sa voix fraîche. Et les grandes aventures musicales wagnériennes à l'Opéra, où Astruc et les mélomanes de Paris arrivaient se joindre à ceux des quatre coins de la terre. Et cette monstrueuse, fantastique beuverie de la célèbre Hofbrau, où la bière faisait lac sur le sol, trempait les semelles des buveurs, où trois étages de salles bondées des milliers d'amants du blond nectar, montraient leurs massives boiseries brunes, leurs immenses tables, leurs milliers de sièges, leurs étains et leurs grès, avec, accrochés aux plafonds enluminés, les trophées cornus des grands cerfs vaincus, décoration rappelant les noires forêts de sapins et les chasses cruelles, tandis qu'une lourde odeur de malt et de houblon s'alliait âcrement aux épices saucissonnières, à celles des gros radis noirs, des jambons roses, des moutardes jaunes, des fromages blancs et du pain bis ! Kermesse ! Ducasse ! Foire enfumée ! et jusqu'à toi "pisseur" cher à Téniers, oui, tout ce fleuve de liquide d'or arrosant les ventres humains pour s'écouler dans les ruisseaux, tout, tout était pittoresque, inouï, grandiose en sa truculente et coloriée brutalité humaine !

Dans cette atmosphère humide d'haleines chaudes, des centaines de vieilles servantes à gros seins, à larges cuisses, ceinturées de tabliers d'infirmières, passent, courent, halètent sous le poids des lourds plateaux de chopes, fouillent leurs sacs, 'se paient, rendent la monnaie, torchent les tables en coup de vent, retournent vite aux robinets des tonneaux vomissant inlassablement de la mousse huileusement blanche, et qui semble rageuse tant elle bave !

Les Halles de Paris après l'assaut des marchands, et l'attaque des cent mille désirs éventrant paniers, bourriches, sacs, caisses, pour mettre à nu, poissons, crustacés, volaille, gibiers, veaux, beeufs, moutons, cochons, fruits, légumes, fromages par milliers, les halles donnent aussi cette impression de "pieuvre à pompe" qu'est l'estomac de l'homme. Et quand on pense que tout ce labeur humain pour nourrir et désaltérer l'homme s'en va en ... pourriture, on se demande où l'on prend la force de ne pas, résister à la faim, et de ne pas (lire zut à la soif.

Et bien, à Munich, cette baignade biéreuse de l'estomac n'empêche pas le Munichois d'être un délicat amoureux du théâtre et des apports d'arts étrangers. J'ai toujours eu une véritable joie de ces audiences spontanées, chaudes et vives à comprendre. Souvenirs... souvenirs, dites-moi, qu'est devenue la maison de Hirth, le directeur du Jugend, le fameux journal illustré par les célébrités bavaroises du crayon ? Un jour, il me la fit visiter.

Il avait la manie clos collections, et notre musée (le Cluny, à Paris, aurait pu être sa demeure, c'était inimaginable ce que cet homme avait pu réunir "en série" dans l'espace de quelques années, il avait dû consacrer à son musée une fortune énorme?

Que sont devenues ces merveilles ?

Et mon portrait peint par Lenbach ? promis à moi par une carte du grand peintre qui me l'offrait, et que je fis en vain réclamer à sa veuve par M. Littauer, le marchand d'estampes de Munich. Pourquoi sa veuve refusa-t-elle de me l'offrir ? C'était le désir du mort pourtant.

Qu'est devenue la nuageuse fillette modèle du portrait légendaire connu du monde entier ? Qu'est devenue Marion Lenbach aux cheveux de soie couleur de miel, à qui Lenbach fit danser la pavane pour moi sur le sol de son grand salon couvert d'une riche toile peinte par lui, et qui donnait à ses fauteuils l'air d'être posés sur un somptueux, plafond ! Vous aviez cinq ans, inoubliable et déjà célèbre Marion, et la Duse posa devant le maître votre père, avec vous dans ses bras.

Que sont devenus... combien en reste-t-il de ceux qui me firent parvenir un album de dessins originaux et charmants signés de noms célèbres!

Defregger, Fritz von Uhde, Stuck, Lebach, Enver Beck, Fritz Erler, Schmidhammer, LouiseSarre, Baudissin, Von Stetten, Élisabeth Munck, Reinhold Iloberg, Felbauer, Ilabermann, Ludwig Holwein, Wolz, Hans Christiansen, Solamké (russe), Reznicek, Terleetz, Griess, Caspari, Ockmann, Kleiter, Kirchner, Graf, Bromberger. Et les signataires : Oberlander, Seidl, Kaulbach, Leoyes, Hirth, Kirchner, où sont-ils ?

Et le prince ? Ce long et blond prince Henri de Bavière qui me disait : "Ma couronne pour un refrain de votre vieille France, Madame !" et, venait à mes représentations quêter auprès de moi des tuyaux sur les éditions de mes chansons, afin de les faire venir, de les répandre, et de les apprendre Jean Renaud et les Noëls anciens l'enthousiasmaient...

Et cette si longue, si mince, si molle chanteuse, très brune au teint pâle, venue de France s'établir à Munich et qui avait l'air en scène d'un long macaroni noir bouilli, oublié sur un fauteuil, comment s'appelait-elle ? Où se fait-elle entendre à présent ?

Quand je pense que ce sont mes débuts en Allemagne qui furent la cause d'une nuée de "diseuses", de "diseurs" et que le "cabaret allemand" naquit de ma venue, je me demande si tous ces braves gens-là pensèrent jamais à me remercier... Non, bien sûr ! Il n'y a pourtant pas d'erreur, c'est à moi qu'on doit les "Ueberbrettl". Ils poussèrent en six mois, dans toute l'Allemagne, et de par cela une chanson "satirique" naquit d'une source intarissable de poètes éclos un peu partout.

En Angleterre ce fut moi aussi qui donna à Cécil Sharp l'idée de recueillir le vieux Folklore anglais. Un exemple entraîne un mouvement, et c'est pour cela que j'ai eu pour maxime toute ma vie : "Rien n'est inutile, chaque geste a sa portée, si pas aujourd'hui, demain, si pas demain, plus tard ! Bien ou mal, se mouvoir c'est vivre et faire vivre". Avoir été suivie, imitée, est le plus grand hommage qui me fut rendu. Mais quelquefois pourtant l'imitation est un désastre qui ruine le modèle. Ce fut le cas de cette grande Loïe Fuller qu'on enterre aujourd'hui, personne ne fut "volé" autant qu'elle !

Après chaque apparition, à Paris, la province et l'étranger étaient envahis des copies exactes, absolues, de ses créations (moins son génie, lien entendu), mais comme dans son art, la partie "mécanique lumineuse" entrait en grosse part, des électriciens spécialistes cambriolaient la Loïe au profit d'autres danseuses de sorte que, pendant de longues années, quand après ses stages à Paris elle désirait se produire ailleurs, elle arrivait tonjours "trop tard", les autres étant déjà venues et à "meilleur marché" le manager trouvait son profit à ces économiques "voleries".

Ah ! que j'ai vu Loïe souvent désolée de ces faits atroces... j'ai été très affectueusement liée avec elle les dix premières années de ses débuts à Paris, car ses music-halls étaient les miens. Pour en terminer avec l'Allemagne je dirai que j'ai fait, depuis trente-deux ans, connaître et acclamer la chanson de France à Berlin, Munich, Hambourg, Cologne, Francfort, Mayence, Mannheim, Karlsrhue Stuttgart, Nuremberg, Dresden, Leipzig, Darmstadt, Heidelberg, Breslau, Dantzig, Kœnigsberg, Magdobourg. Baden-Baden, Bonn, Chemnitz, Oberfeld, Crefeld, Dusseldorf, etc., etc., et. que c'est le seul pays où l'art s'accueille gravement sous toutes ses formes, ses formules, et si c'est la nation la plus difficile à conquérir, elle a l'honneur d'être la plus tolérante, la plus attentive, la. plus large, la plus cultivée.


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