SOMMAIRE & NOTES

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Gilberte



































Claude Roger










Mercadier





Antoine Banès

























Gaston Maquis




































Gilbert

































































































Céline Dumont











































































Le petit Norbert

Paulus



Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XXVI

Au Concert Parisien - La colère du Directeur - Gilberte - Un bouquet original - Tusini - O'Kill - Dalbray - Claude Roger - Antoine Banès - Mayeur - Blanche Kerville - Tout à la Paulus ! - Mercadier - Gaston Maquis - Gilbert - Céline Dumont - Dowe - Je suis condamné à 30 000 francs de dommages-intérêts - M. Allemand les paye - Le petit Norbert - "Le Tambour-Major amoureux" - "Le Train des Amours" - Le ténor aux gants blancs - Le lion de Paulus.


J'avais signé, pour trois années, au Concert Parisien. Mon traité spécifiait que je ne pourrais chanter dans aucun autre établissement s'il ne se trouvait éloigné de 1 500 mètres, à vol d'oiseau. Des propositions m'étaient faites, nombreuses, alléchantes. Pour y répondre j'avais pris un impresario, Cahen, qui traita avec quelques autres Cafés-concerts. Je gagnais de cette façon environ mille francs par jour.

Malgré qu'il fit de bonnes recettes, M. Régnier riait jaune en me voyant triompher ailleurs, mais il ne rit même plus du tout quand, en plein Faubourg Saint-Denis, les affiches des autres vinrent s'étaler sur les murs, annonçant Paulus pour le soir, et les hommes-sandwichs promener ma tête sur leur dos. Il ne décolérait pas, mais que faire ? Mon traité était formel ; il n'y était pas dit que les autres Directeurs ne m'afficheraient pas dans le quartier du Faubourg Saint-Denis. À 10 heures - exactement j'étais chez lui, donc c'était régulier. À 9 heures - je chantais à Belleville, à 11 heures aux Ternes. Parfois j'alternais ; j'allais à l'Éden-Concert, au Concert de la rue Dauphine ou à la Gaîté-Montparnasse.

Ajouter à cela des soirées particulières à cinq cents francs le cachet. Je me faisais jusqu'à quinze cents francs par soirée ! J'avais mon coupé qui me conduisait rapidement des concerts aux salons et je trimbalais avec moi mon pianiste-accompagnateur.

Aussi l'hôtel de Neuilly resplendissait d'allégresse et de faste ! Les journaux étaient pleins de Paulus ! On m'y louangeait, on m'y éreintait, ça m'était fort égal. Louange ou éreintement, c'était une énorme réclame qu'on me faisait.

Je chantais de cette façon jusqu'à vingt-cinq chansons par soir. Ce métier-là aurait tué plus d'un camarade, mais je me portais comme un charme, rutilant de santé et d'orgueil.

La saison passa tant bien que mal, plutôt mal, avec l'irascible Régnier. Les prises de becs étaient fréquentes entre nous. Il attendait toujours une occasion de me trouver en faute pour sévir, la traité en main ; mais il avait affaire à plus malin que lui et ce n'est pas ce vanter que se dire plus malin que Régnier-Kosmydor ! Sa naïveté était devenue proverbiale, ainsi que son incompétence artistique. En voici un exemple.

Debailleul, un jour qu'il avait trop bien dîné, ne peut chanter dans une pièce. Il faut le remplacer par quelqu'un possédant une voix mixte, comme lui. Régnier appelle Farville, un fort baryton, quasi basse, à la voix lugubre.

- Farville, vous allez remplacer Debailleul.

- Impossible, M. Régnier, je n'ai pas de mixte.

- Eh bien ! demandez-en au régisseur.


O la belle, la gracieuse, la séduisante jeune femme que Gilberte ! Jolie voix, disant bien, elle a grandement réussi. Si les yeux gourmands pouvaient dévorer, il ne resterait plus rien de cette superbe plastique ! Bientôt je la retrouverai à l' Alcazar d'Hiver où le même accueil l'attendra et elle y sera l'héroïne de la galante manifestation suivante :

Un soir qu'elle venait de chanter "Les madeleines de Commercy", elle avait été acclamée par le public et surtout par des Saints-Cyriens, dont c'était le jour de sortie et qui étaient venus nombreux. Les applaudissements ne semblèrent pas suffisants à nos élèves-officiers pour exprimer leur admiration à la belle artiste. Hélas ! pas de fleurs dans les environs.

L'un d'eux a une idée géniale ; elle est adoptée avec enthousiasme. On retire les plumets des shakos ; on en compose un énorme bouquet et on l'envoie à Gilberte. Est-ce joli ! est-ce bien français !

Gilberte a, depuis, joué au théâtre, tout le répertoire d'opérette, à l'Étranger comme en France, toujours applaudie, grâce au triple don qu'elle a reçu d'une bonne fée présente à son berceau : talent, beauté et charme !


À l'Eldorado, une nouvelle chanteuse-vedette, Mlle Tusini. Cette enfant de la Cannebière est jolie à croquer et dit d'une façon tout à fait ravissante.

Les papillons vont se brûler à la flamme de ces beaux yeux, pétillants de malice, - mais les dits beaux yeux se font indifférents ou railleurs. Pourquoi ? C'est qu'il y a un autre artiste à l' Eldorado, un gentil Anglais, gentleman accompli, O'Kill, le ventriloque qui, non content de faire parler ses fantoches, a fait parler aussi le cœur de la gente Tusini. De cette situation naîtra un mariage prochain ; la diction et la ventriloquie s'associeront et poursuivront ensemble le cours de leurs succès.

Mlle Tusini est aussi bonne comédienne. Elle vient de créer le Petit spahi, opérette de Péricaud et de Jalhais, musique de Lucien Collin. Un gros succès... qui dure encore.


Un jeune baryton, Dalbray, dont la voix est d'un timbre éclatant et d'une étendue exceptionnelle. Des scènes plus importantes le guignent déjà et l'attireront bientôt. Depuis, sous son vrai nom, Ceste, il a eu de jolis succès en chantant le grand opéra.

Puis Mlle Claude Roger, chanteuse de genre et d'opérette. Elle possède une voix remarquablement fraîche et de réelles qualités de comédienne. Elle vient de se faire très apprécier dans une charmante opérette d'Adely et Barré, dont la musique est d'un jeune compositeur d'avenir, Antoine Banès.

Tout le monde connaît cette figure si sympathique, ce bon gros Banès dont le talent, depuis l' Eldorado, s'est affirmé sur plus d'un théâtre d'opérette et qui, certainement, recèle dans ses cartons, quelques chef-d'œuvre qui lui donnera bientôt la place qu'il mérite parmi nos meilleurs compositeurs.

Deux autres chanteuses bien accueillies ; Mlle Mayeur, possédant une jolie voix et sachant s'en servir et Mlle Blanche Kerville, accorte brunette à l'organe juste et très étendu.

Il n'y avait pas à dire : j'étais devenu célèbre. Et la preuve, c'est qu'on me singeait. On imitait la coupe de mes habits ; je faisais mon petit Prince de Galles. C'est qu'aussi j'apportais un extrême souci à l'impeccabilité de ma toilette. Je n'avais pas de tailleur accrédité, mais un maître coupeur avec qui j'élaborais les novations à lancer. Pour chaque nouvelle création de chanson importante, je voulus un costume nouveau. À l'habit noir succéda l'habit bleu-azuré, avec la culotte pareille et le gilet de soie blanc. C'était pour créer Au rond-point des Champs-Élysées, un de mes succès, que m'avait fait Albert Petit, compositeur original qui tint une place enviée au Café-Concert. L'hiver suivant, au Nouveau-Cirque, tous les écuyers avaient endossé l'habit de Paulus.

Après l'habit bleu-azuré, ce fut l'habit café-au-lait pour chanter "Y a qu' l'Argenteuil", du même Albert Petit. Puis ce fut l'habit chaudron avec chapeau de soie argenté pour interpréter "J'arrive de San-Francisco".

Et la coupe de mes cheveux, donc ! En a-t-elle fait couler des flots d'encre et user des crayons aux caricaturistes !

On s'est étonné de cette coupe à la Titus, généralement peu avantageuse au physique. On a cru à une excentricité de ma part, c'était tout bonnement une mesure d'hygiène. On n'avait pas encore l'électricité sur la scène et je chantais six, huit, dix chansons, dansant, courant, gambillant sans cesse, dans une atmosphère étouffante produite par une rampe de soixante becs de gaz et les bouquets de feu des portants. Il y avait une température qui allait à 40 degrés ! j'imaginais d'alléger ma tête, voilà tout... et je m'en trouvai fort bien. Le dessinateur Stop, dans le Journal Amusant, me caricatura et appela cette coupe le Nec Paulus ultra. Beaucoup de camarades m'imitèrent et ne furent que grotesques, leur masque ne prêtant pas à cette coupe qui n'ajoute rien à n'importe quel genre de beauté, mais peut accentuer la laideur de certains types.

Apparition d'un nom que deviendra populaire. C'est celui de Mercadier.

Un Toulousain ténorisant et barytonnant avec facilité. La voix est chaude, sympathique, étendue, la diction soignée.

Un casseur de cœurs ! Quand il file la note suraiguëà la fin du couplet sentimental, les femmes palpitent, et leur lorgnette remercie ce joli chanteur que leur donne des émotions si douces. Les hommes l'applaudissent pour son talent ; donc il a tout le public pour lui.

Le lendemain de ses débuts un poète de la maison écrivait :

C'est dans le Languedoc vermeil
Que, par un matin de soleil,
Une fée aimable et rieuse
Lui fit cadeau d'un rossignol
Qui roucoulait en si bémol,
Sa romance délicieuse.

L'enfant le prit et l'avala,
Et c'est depuis ce moment-là
Qu'il chante les prés et les roses,
Les nids d'oiseaux dans les buissons,
Les sentiers verts, pleins de frissons,
Et les amours fraîches écloses.

Qu'il en fait rêver de beaux yeux
Par ses accents mélodieux  !...
Qu'il en fait naître de caprices !...
Jamais ténor barytonnant
Ne fit d'effet plus surprenant
Sur les sensibles auditrices.

Beau cavalier, aimable acteur,
C'est avant tout, un enchanteur
Que le public sans cesse acclame.
La critique perd tous ces droits
Aussitôt que sa douce voix
Met des rêves bleus dans notre âme.

Il créera de nombreuses chansons à succès, entr'autres "La visite à Ninon", de Gaston Maquis, un jeune compositeur qui s'est déjà révélé au public par des œuvres charmantes. Gaston Maquis a le don de la mélodie facile qui frappe tout de suite l'oreille du public et s'y incruste. Les ateliers, la rue et les salons se réjouiront de son répertoire, qu'à l'occasion il interprète lui-même de fort agréable façon.


Juin ramène les belles soirées aux Champs-Élysées et je réintègre l'Alcazar d'Été.

Le chef d'orchestre est Léopold Wenzel qui me fait alors une bonne chanson "Les p'tits navets".

La saison s'écoule tranquillement ; gros succès pour moi, grosses recettes pour la direction ; nous sommes tous contents. Parmi les camarades, à mes côtés, Gilbert, Céline Dumont et Dowe.

Gilbert est un de mes plus heureux imitateurs. Joli garçon, d'une vivacité, d'une souplesse remarquables, il a pu chanter la "Chaussée Clignancourt" après moi et y obtenir du succès. Il a fort bien pigé le fameux coup de tête sur l'accord. Exubérant, ne tenant pas en place, il s'amuse de ce qu'il dit et amuse le public.

Céline Dumont, une réjouie ! A commencé par susurrer des ingéniosités ; marche à présent sur les traces de Demay et d'Élise Faure. Beaucoup de rondeur dans son genre salé. Et la gentille et gracieuse Dowe, disant si finement la chansonnette ; bonne camarade, aimées de tous.


Il me fallait réintégrer le Concert Parisien en septembre. Rien que cette idée m'horripilait ; j'en avais assez des observations aigrelettes et du nez que me faisait le directeur Régnier. Je ne voulais plus endurer sa mauvaise humeur provenant de ce que je chantais dans d'autres établissements, pendant mon séjour chez lui. Il me fallait un prétexte pour rompre ; je crus en avoir trouvé deux.

D'abord j'objectai qu'il avait fait placer à la porte du concert des vedettes d'autres artistes et que ceci était contraire à nos conventions ; ensuite que ma loge était insalubre, comme toutes celles de la maison, et que, malgré mes réclamations à ce sujet, il n'y avait apporté aucun changement. Et, sur papier timbré, je lui signifiai que je ne reprenais pas mon service.

Un procès s'ensuivit. Il prétendit que j'avais tous les torts ; que mon refus de paraître en scène, alors que j'étais affiché, avait causé des scandales dans la salle ; que maints spectateurs s'étaient fait rembourser leurs places et qu'il avait subi des pertes énormes du fait de ma détermination. Il affirma, par des experts, que ses loges étaient admirablement agencées et salubres au possible.

Le procès fut long et aboutit à... ma condamnation ! Je devais lui payer trente mille francs.

M. Allemand, directeur de la Scala, qui me voulait à tout prix, m'offrit de payer ces trente mille francs, à la condition que je lui donnerais les trois saisons d'hiver promises au Concert Parisien. J'acceptai.

Le Régnier empocha ce joli denier, mais l'année suivante, il passa la main à un autre directeur, lâchant l'art, qu'il ignorait, pour retourner à son Kosmydor, d'où il n'aurait jamais dû sortir. J'ai dit déjà que les calinotades de ce directeur-rageur étaient célèbres ; sa rapacité les rendait quelquefois lugubres.

Il avait dans sa troupe un artiste lilliputien, Norbert, dont les débuts aux Ambassadeurs avaient fait sensation. Il était très drôle, très amusant dans ses chansons et dans ses rôles.

Le pauvre petit artiste mourut. Tous les camarades du Concert Parisien se cotisèrent pour acheter une belle couronne funéraire. Régnier se fendit royalement de 10 francs, mais voulut voir la couronne. On la lui montra ; elle portait simplement ces mots : À Norbert, le Concert Parisien.

- C'est très bien - fit Régnier - mais après : Concert Parisien, ne pourrait-on pas ajouter : dimanche et fêtes, matinée ...

Après celle-là, on peut tirer l'échelle.


Perrin, à qui je vais serrer la main pendant un entr'acte, est en train de conter un souvenir de l'inauguration de l' Eldorado, en 1858.

Un ténor, à la voix superbe, Cardona, qui venait du théâtre de la Monnaie, à Bruxelles, chantait le grand air de la Juive, son grand succès.

Peu fortuné, sans doute, il avait blanchi, au blanc d'Espagne, son unique paire de gants.

Emporté par l'Action de son récit, il faisait force de gestes et posait, à tout instant, ses mains sur son cœur. Chaque fois il laissait sur son habit des traces blanches de ses doigts et le public s'esclaffait.

Ce n'est qu'en sortant de scène que le pauvre ténor comprit pourquoi il avait déchaîné les rires


ce soir-là, en place des applaudissements habituels.


À l' Alcazar d'Été, une de nos jolies petites chanteuses de la Corbeille a reçu, l'autre soir, un bracelet superbe. Chaque lettre de son nom, Zoé, est formée par des brillants. Toutes les amies l'entourent, la félicitent, avec des grincements d'envie dans la voix.

- Es-tu heureuse ! - Est-ce beau ! - Il ne se moque pas de toi, celui-là ! - Veinarde ! va.

Zoé soupire et regardant les trois lettres étincelantes :

- Oui, mais quel malheur que je ne m'appelle pas Scholastique !

- Pourquoi ?

- Dame !... ça ferait plus de lettres.


Dans une ville de Belgique le directeur d'un concert (je ne le nommerai pas pour lui éviter d'être raillé) m'engage, par écrit, pour quelques représentations, sur la foi d'une de mes chansons ("Le Terrible Méridional", de Louis Ganne) où j'étais représenté face à face avec un lion magnifique que je boxais avec désinvolture.

Je débarque chez ce directeur.

- C'est moi... Paulus.

Il me toise des pieds à la tête et paraît étonné de me voir une taille moyenne.


- Vous le grand Paulus  - Hum ! vous n'êtes pas si grand que ça !

- Possible... mais c'est moi tout de même.

- Ah !... bien.

Mais son œil inquiet scrutait la malle et la valise qu'un employé déchargeait à la porte.

Il reprend :

- Et le lion  - vous l'avez laissé à la consigne ?

- Quel lion ?

- Mais votre lion... celui-là !

Et il me montre une grande affiche, collée à sa porte et reproduisant la lithographie du Terrible Méridional.

Je pars d'un éclat de rire.

- Vous plaisantez, sans doute  - Je n'ai pas l'habitude de chanter des duos avec un tel partenaire.

- Alors, il n'y a rien de fait ; j'ai annoncé le lion, mon public compte dessus ; je ne prends pas Paulus sans lion.

Tout ce que je pus lui dire ne le convainquit pas ; il fallut aller devant le bourgmestre pour lui expliquer le cas.

Heureusement pour moi, un arrêté récent défendait l'exhibition de tout animal féroce, à la suite d'un accident arrivé dans une ménagerie de passage.

Le directeur consentit alors à me laisser chanter sans accompagnement de lion.

Mais j'arrivai difficilement à le convaincre que mon monologue n'exigeait pas la présence du roi du désert.

Et il n'en fut pas fâché, car le public parut enchanté et il fit quelques bonnes recettes.

 

 

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