SOMMAIRE & NOTES

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Marguerite Baudin











Marguerite Badel
dite Rigolboche










Clodoche

La Comète

Flageolet

La Normande

Les Clodoches



Les Pompiers de Nanterre
par André Gill












Augustine Kaïser


Judic, à dix-neuf ans








































































Joseph Arnaud



























































Eugénie Barba
(Mme J. Perrin)

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE IV

Au Jardin Oriental de Toulouse - Marguerite Baudin - " Les Pompiers de Nanterre" - Les Clodoches - Augustine Kaïser - À l'Alcazar de Marseille - Joseph Arnaud - Une répétition mouvementée - Eugénie Barba (Mme Jules Perrin) - Judic.


C'était Mme Lassaigne qui, venue exprès à Paris pour composer sa troupe, m'avait fait de propositions. Son mari [un ex-prestidigitateur] avait fondé le Jardin Oriental, établissement d'été, à Toulouse.

Cette bonne dame, charmante et sympathique, n'avait pas eu de peine à me décider ; elle m'offrait six cents francs par mois pour la saison d'été et deux cents francs d'avances. Le double de ce que je gagnais à cet Eldorado où l'on me jugeait insuffisant ! C'était déjà le commencement de la revanche pour mon amour-propre froissé.

J'appris en hâte des chansons de Perrin, le "Maître nageur" et le "Père nourricier" ; je voulais vaincre avec les armes qui m'avaient vaincu. J'avais étudié la manière de Perrin, objet de mon admiration perpétuelle. Mon grand désir était de l'égaler. Je partis pour Toulouse où j'arrivai quelques jours avant mes débuts, afin d'être très reposé et déjà familiarisé avec le milieu dans lequel j'allais me produire.

M. Lassaigne, qui inaugurait le Jardin Oriental, était un homme fort avisé, ne se hasardant à jouer la partie qu'après avoir mis tous les atouts dans son jeu.

Il avait déjà engagé, pour me succéder, une artiste qui obtenait un grand succès à Paris, Marguerite Baudin. Ceux qui l'ont connue me sauront gré de consacrer quelques lignes à cette belle brune au talent si énergique, si convaincu, si gracieusement excentrique.

Née à Saintes, en 1843, elle était venue à Marseille, dans une belle situation de fortune. Atteinte par la guigne, ruinée, elle ne voulut demander qu'à l'art les ressources pour vivre. Elle frappa à la porte de l'Alcazar de Marseille et Villebichot, qui était chef d'orchestre, lui en facilita l'entrée. Grand succès !

Elle alla ensuite au Casino de Lyon, puis à Paris, successivement à l'Eldorado, au Casino du Palais-Royal, à l'Horloge et aux Ambassadeurs où, en cette année 1868, elle était classée première étoile.

Elle détaillait merveilleusement les paysanneries, et d'ailleurs excellait dans tous les genres.

Pour moi, M. Lassaigne avait fait une grande réclame. La presse était acquise à sa publicité et annonçait des débuts sensationnels.

Je plus tout de suite à mon directeur qui jugeait déjà avoir fait une bonne affaire en m'engageant. Il ne se trompait pas. Il était plein d'idées originales. Il m'engagea fortement à apprendre les "Pompiers de Nanterre" [voir à Bach], la célèbre chanson de Burani, Philibert et Antonin Louis que Perrin avait lancée et qui se chantait déjà partout, mais qu'on pourrait présenter d'une façon particulière et nouvelle au public toulousain.

Il m'expliqua son plan ; j'acceptai. Mes débuts furent éclatants.

Dans la première partie du concert, je chantai "Le maître nageur", en costume, culotte et chemise de couleur, chapeau canotier, et sans modifier en rien la musique écrite pour la belle voix de Perrin. Ce dernier était inconnu à Toulouse ; je devins une révélation !

À mon deuxième tour, je donnai "Buvons sec" et le "Père nourricier". Sans me valoir le succès de la première chanson, cela fut encore très goûté du public emballé. Pendant tout un mois, je laissai le même programme. Les braves Lassaigne, qui avaient une ribambelle d'enfants, me choyaient, me dorlotaient affectueusement ; je faisais partie de la famille. Je leur rendais bien leur affection, travaillant avec ardeur, apprenant de nouvelles chansons et piochant ces fameux "Pompiers de Nanterre", qui virent le jour au Jardin Oriental, présentés de la manière suivante, d'après ce livret improvisé :

C'était la fête à Nanterre. J'étais le capitaine des pompiers ; je les passais en revue, les faisant manœuvrer ; je les interrogeais, les haranguais et je chantais les couplets. Tous les artistes reprenaient en chœur le refrain et ça se terminait par un quadrille monstre, chahuté à l'instar des Clodoches qui avaient alors un succès fou dans toute la France.

Les Clodoches, c'étaient quatre jeunes gens de Paris, grands amateurs et pratiquants de danse excentrique, qui avaient imaginé un nouveau quadrille, lequel avait fait fureur aux bals de l'Opéra, puis aux Variétés dans L'œil crevé. De simples amateurs, dansant à Mabille, au Prado, au Casino Cadet, chez Markowski et partout, ils étaient devenus des professionnels. Deux d'entre-eux étaient costumés en femmes La Comète et La Normande, car pour ne pas troubler l'harmonie de leur entreprise, ils s'étaient passés de la collaboration de grandes cancaneuses du jour, la célèbre Rigolboche, Alice la Provençale, Finette, Rasalba-Cancan [on écrit également : Rosalba-Cancan], Nini belles-dents, etc.

Je les avais vus opérer aux Ambassadeurs et à l'Eldorado et je pouvais donner quelques indications sur leur manière de gigoter.

Pour jouer mon rôle, je m'étais collé un gros oreiller figurant le ventre du capitaine des pompiers. Ce que j'avais chaud ! C'était horrible à supporter ; mais le public ne pouvait s'en apercevoir, tant mon ardeur effaçait toute trace de malaise sur mon visage. Je me démenais comme un diable, dans cette chanson-scène, et c'est de ce jour que je pris l'habitude de corser les ritournelles d'un petit pas de danse expressive. Cette innovation me valut plus tard d'être appelé gambillard [de "gambille", mot picard signifiant "jambe" ou danseur] par Francisque Sarcey.

La presse toulousaine déclara que j'avais été renversant ! crevant ! épastrouillant ! et la location fit merveille. Un troisième mois, à salle bondée, acheva de combler de joie et d'argent les bons Lassaigne. J'étais encore plus satisfait qu'eux. J'avais commencé ma réputation on parlait de moi dans les journaux de la région et les offres d'engagements pleuvaient de tous les côtés. Je n'avais que l'embarras du choix.

Avant de partir, j'eus le plaisir d'applaudir une artiste, de passage, qui, à cette époque, complétait avec Suzanne Lagier et Thérésa le trio de grandes comiques du café-concert.

C'était Augustine Kaïser, qui, dès l'âge de dix-sept ans, faisait retentir sa superbe voix de contralto à Pézenas, Avignon, Montpellier, Marseille, acclamée partout.

Sa diction était nette et pure, son geste sobre et exact.

Les genres dramatique et humoristique lui convenaient également.

À Saint-Étienne, à Lyon, même succès et, en 1867, M. Lorge l'engageait à l'Eldorado, où elle était sacrée étoile par le public.


De tous les engagements qui m'étaient offerts j'acceptai celui pour Marseille.

Au milieu des embrassades de la famille Lassaigne, je promis de revenir l'année suivante, aux mêmes conditions. Et je les quittai fort ému ; ils m'avaient conquis le cœur.

Je devenais le pensionnaire de l'Alcazar de Marseille, qui faisait sa réouverture sous la direction de Comy.

Le public marseillais, mis au courant, par les journaux, de mes succès à Toulouse, se méfiait. Les publics du Midi se méfient toujours !

Il avait une idole pour le moment. C'était le célèbre Arnaud [Joseph], un enfant de la Cannebière, que j'avais entendu à Paris, au Concert du Géant , où je l'avais trouvé superbe. Il composait la plupart de ses chansons ; il a fait près de neuf cents créations au cours de sa carrière lyrique. Il chantait en ce moment-là une chanson de soldat, dont il exagérait encore le langage traditionnel et qui avait un succès fou. C'était l'Apollon du sesque de rebut !

Il fallait avoir de l'audace pour jouer à l'étoile, â côté de ce gaillard-là ! Ses admirateurs - et c'était tout le monde - s'exclamaient moqueurs, quand on annonça ma venue :

- Pauluss !... quès aco !... digo-li vingué !

Émotionné par la présence d'Arnaud, je n'en menais pas large quand je fus convoqué pour la répétition.

Je m'y rendis à l'heure exacte, mais en entrant, ma stupéfaction fut grande... la salle était remplie de spectateurs.

On m'avait bien prévenu que les clients abonnés avaient le droit d'assister aux répétitions, mais deux mille personnes ! c'était plus qu'exagéré. Il n'était pas possible que tous ces gens fussent abonnés.

J'eus envie de protester. Je me contins. Je ne voulais pas me rendre hostile ce public, composée en grande partie de gens des quais, débardeurs, matelots et autres qui ont la prétention de mâter les plus malins.

Mon tour de répéter est venu. Le public se fait plus attentif. L'orchestre attaque ; je le suis à voix contenue.

On crie : "Plus haut !". Je n'y prends pas garde, et, sur le même ton, j'ébauche la deuxième chanson. "Plus haut !" vocifère-t-on de partout. Je commence à m'émouvoir ; mais je ne hausse pas la voix.

Alors, les hurlements, les sifflets volent par la salle... je ne m'entends plus chanter... je m'affole.

L'administration intervient et m'invite à répéter à pleine voix... je proteste, je refuse. On me somme d'obéir dans l'intérêt de l'ordre, que les auditeurs, debout, menaçant, troublent de plus en plus. Une lueur de sagesse passe en mon cerveau ; je fais violence à ma nature et, rentrant en scène j'entonne à pleine voix : "Buvons sec" !

Alors, j'entends des exclamations, des oh ! des ah ! qui n'ont plus rien d'agressif, au contraire. Je lance mon refrain avec une vigueur telle que ce public, qui allait m'écharper, deux minutes auparavant, se met à m'applaudir à outrance, et hurle, non plus des injures mais des bis étourdissants, des bis marseillais, quoi !


Mais l'effet que m'avait produit cette répétition, ne devait plus s'effacer en moi. Malgré les bravos flatteurs que je récoltais chaque soir, je parvins à résilier à l'amiable au bout de quinze jours.

Je suis souvent retourné à Marseille et à des conditions superbes ; mais j'ai toujours exigé des contrats spéciaux, qui me dispensaient de paraître à ces répétitions publiques et scandaleuses de la journée.

Je me devais au public honnête et intelligent du soir et non à cette bande de nervis qui, pour leurs quelques sous, exigent la croix et la bannière des artistes-hommes et terrorisent les femmes. Hélas ! que j'en ai vu pleurer de ces pauvres petites, rentrant dans les coulisses, après avoir subi les sarcasmes de ces gens-là. Partout où il m'a été possible, j'ai protesté contre cette coutume chère aux mercantis-directeurs.

Est-il admissible qu'on soit obligé de faire entendre au public des chansons non encore sues, en tâtonnant, se reprenant, recommençant et souvent accompagnées par un orchestre malhabile, ou qui ne sait pas non plus, car il déchiffre et répète aussi pour apprendre ? Dans ces conditions, les meilleurs sont quelconques, les médiocres sont archi-mauvais.


Pendant que je m'insurgeais contre la coutume marseillaise des répétitions devant le public, on triomphait à l'Eldorado, à Paris.

Le premier septembre de cette année 1868, une artiste y recevait une ovation enthousiaste. Il est vrai qu'elle s'appelait Judic !

Elle avait tout pour elle : talent, jeunesse, charme, beauté. Des yeux à damner tous les saints, y compris le récalcitrant Saint-Antoine.

Elle avait dix-neuf ans.

Élevée dans les coulisses - c'était la petite nièce de Montigny, le directeur du Gymnase - elle avait été la coqueluche des comédiens, choyée, gâtée, dorlotée par eux ; aussi à l'âge de six ans elle disait déjà :

- Je veux jouer la comédie, aussi, na !


On eut beau faire, la vocation l'emporta. À quinze ans, elle entrait au Conservatoire. L'année suivante, elle débutait au Gymnase, en qualité d'ingénue, - naturellement - la perle des ingénues, vous pensez.

Mais l'art lyrique l'attirait ; elle avait une si jolie voix ! Et l'Eldorado l'engagea. Ce fut une révélation ! Quelle délicatesse ! Quelle suave diction ! C'était l'incarnation de la grâce ingénue... et maligne. Un Greuze qu'aurait peint Raphaël.

Était-elle admirable dans la "Première feuille", "Pas ça", "Rentrons bras d'sus, bras d'sous" et "Comme ça pousse, cousin". Cette dernière chansonnette assez osée mais qu'elle détaillait avec la candeur d'une vierge qui en sait long.


Une gracieuse émule de Suzanne Lagier qui avait débuté en 1866, à l'Eldorado, vient d'en quitter.

C'est Eugénie Barba (depuis Mme Jules Perrin), chanteuse de genre, du gazon d'opérette, fort goûtée du public. Une Parisienne pur sang, vive, enjouée, à la gracieuse et intelligente mimique.

Avant, elle avait passé par le Casino du Palais-Royal, le Café Moka et les Ambassadeurs, puis s'était fait applaudir à Lyon, à deux reprises, et pendant cinq mois à Saint-Pétersbourg. À l'Eldorado, elle créa une foule de gentilles choses, toujours avec un succès très mérité.



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