SOMMAIRE & NOTES

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Charles Malo




















Guyon Père imitant La Bordas


Bruet



















Ben-Tayoux















































































































































Noémie Vernon

















































Doria

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XII

Ma rentrée à l' Eldorado - Charles Malo - Louise Théo - Bruet - Guyon père - "Le tir au pistolet" - Maria Lagy - "Les Cuirassiers de Reichshoffen" - Ben-Tayoux - Noémie Vernon - Doria - "Je ne t'aime plus" - Une caisse de prévoyance originale.


Le 10 novembre 1871 [à 26 ans], je rentrais à cet Eldorado, par la grande porte ! Moins timide, mieux armé qu'autrefois, j'y réussis.

L'orchestre, de premier ordre, était dirigé par Charles Malo, un compositeur de talent, qui, pendant vingt-cinq ans, devait occuper le pupitre à l' Eldorado, et dont tous les artistes que son bâton avait guidés et soutenus, ont gardé le souvenir le plus affectueux, le plus reconnaissant. Il avait succédé à Hervé.

Vous pensez que j'avais travaillé ferme pour ce second et décisif début au grand concert du boulevard de Strasbourg. Tout mon avenir en dépendait ! J'étais allé partout étudier les autres artistes et apprendre d'eux ce qui me manquait. À l'Opéra-Comique, je m'inspirais de Sainte-Foy, l'excellent [...] [mot manquant] Galathée [de Victor Massé] et du Caïd [d'Ambroise Thomas] et surtout de Couderc [Jean, baryton], dans les Noces de Jeannette [de Victor Massé]. Ce dernier me donnait le type rêvé du jeune paysan, coq du village, fringant dans ses atours, naïf, malicieux, et je l'appliquai à ma chansonnette J'suis chatouilleux [Francis Tourte et Victor Robillard] qui, à l'Eldorado, retrouva l'énorme succès des Ambassadeurs [voir au chap. 11].

Dans la deuxième partie, Trifouillard le brosseur [Isch-Wall et Villebichot] me valut un égal succès. En ce temps-là - l'image funèbre de 1870 était encore dans tous les yeux - il était interdit de mettre des soldats sur la scène. J'avais truqué et représenté mon héros, une bottine


d'une main, une brosse de l'autre, tête nue, et les reins serrés par les cordons d'un tablier blanc.

Je triomphais sans avoir même effleuré le genre de Perrin, qui ne fut pas le dernier, d'ailleurs, à venir me complimenter et en qui, depuis ce jour, je ne trouvai plus qu'un ami affectueux et dévoué.

Le même jour que moi débutai à l'Eldorado la jolie Théo.

La grâce de ses dix-sept printemps séduisait le public.

Sa mère, directrice du Concert de l'Horloge, avait voulu la soustraire, de bonne heure, à l'audition du répertoire, plus ou moins graveleux, de son établissement. Elle lui fit donner une excellente éducation et la maria à dix-sept ans !

    - Déjà ! (gémissaient les spectateurs troublés à la vue de la débutante) déjà mariée !...

Des grands yeux, un sourire mutin, des dents admirables, justifiaient cette exclamation douloureuse. Sa voix était joliette et elle s'en servait avec adresse. Il n'en fallait pas plus pour qu'Offenbach - le sempiternel dénicheur d'étoiles - la remarquât et la ravît au Concert.

Deux ans après, elle créait Pomme d'api à la Renaissance. La jolie parfumeuse, Orphée, la Princesse de Trébizonde, affirmèrent sa vogue et, depuis, elle a remporté maints succès de bon aloi, en France et à l'étranger. En cette année 1871, j'eus le plaisir de créer avec elle une opérette, le Mauvais sujet, livret de Philibert, musique d'Uzès.


J'avais aussi comme camarades Bruet et Guyon père.

Bruet venait de débuter. Il était de ceux qui, pour leurs coups d'essai veulent des coups de maîtres. Il avait tout de suite réussi à conquérir son public. Diseur gracieux, tyrolianisant avec charme, jeune, joli garçon, point de mire des lorgnettes féminines, il avait beaucoup de succès avec "Le coupé de Lise", "Les Morvandelles", "Le chevrier", etc. Il possédait des dons naturels qu'il sut perfectionner par le travail. Sa carrière artistique a été fort belle et, imitant le nègre... il continue.

Depuis deux ans Guyon père faisait partie de la troupe de l' Eldorado. C'était un transfuge du théâtre qu'il a réintégré après une fugue brillante au concert. Mime exquis, il avait brillé à côté de Debureau fils et l'avait maintes fois doublé.

Son talent d'imitateur était parfait. Il avait remplacé, à s'y méprendre : Mélingue, dans l'Avocat des pauvres : Dupuis, dans Barbe-Bleue et Hervé, dans Chilpéric. À l'Eldorado son grand succès fut l'imitation de la Bordas [Voir à Amiati] chantant la Canaille [de Bouvier et Darcier].

C'était tordant ! et l'hilarité était folle quand, grâce un truc imaginé par lui, une immense couronne de fleurs éclatantes se détachait des hautes galeries et venait s'enfiler dans son bras, tendu vers le ciel, alors qu'il vociférait :

C'est la Canaille !
Eh bien ! j'en suis !


Aussitôt mon deuxième tour fini, j'allais flâner par les cafés-concerts voisins et voir ce qui s'y passait. Le Grand Concert Parisien [futur Concert Mayol - voir ici], faubourg Saint-Denis, avait souvent ma visite.

Une excellente troupe y figurait, mal à l'aise sur une scène minuscule et devant une salle longue à n'en plus finir (elle n'a pas changé). On l'appelait par dérision : le tir au pistolet.

À l'origine, il y avait là un lavoir. Un certain M. Fournier avait fait de ce lavoir un grand café où tenaient à l'aise douze billards. Un jour, son voisin, le coiffeur, Valentin Caquineau, lui proposa de transformer l'établissement en café concert et de s'associer avec lui. Il accepta. Et ça marcha comme sur des roulettes ; à preuve que les deux directeurs firent fortune ; chacun d'eux s'offrit sa villa dans la banlieue de Paris ; Fournier à Saint-Mandé, et Valentin Caquineau à Épinay, dont il devint le maire. On fit même sur ce dernier une chanson amusante : le Maire d'Épinay que lança la bonne Demay, qui débutait alors.

À l'époque dont je parle (hiver 1871), il y avait une pléiade de bons artistes autour de la Bordas (voir à Amiati), qui triomphait avec ses chansons patriotiques, enflammant la salle. Parmi eux : Rivoire, Mathieu, Teste, le couple Victorin, le couple Brigliano, la Bordas et son mari, et nous dénommions plaisamment parfois le tir au pistolet, la Maison des petits ménages.

Une excellente artiste, belle fille, rebondie pile et face, y obtenait beaucoup de succès. C'était Maria Lagy, qui s'était d'abord fait appeler Maria Lagier, mais que la Suzanne, de ce nom, avait obligée à se contenter de ce qui lui appartenait. Elle avait de l'allure, du chien et plaisait beaucoup à la clientèle du quartier [1].



[1]
Lyonnet (Dictionnaire des Comédiens français) cite une Maria Cécile Lagye (avec un "e"), née en 1841 qu'il note à Lyon de 1864 et 1865, Montpellier en 1867, Liège en 1868, etc. et à Paris qu'en 1879. - Elle habitait encore Paris en 1907.



Les chansons patriotiques, exaltant nos soldats vaincus et pleurant les défaites, commençaient à se produire.
Gauthier [Clément], bon artiste, avait créé, aux Ambassadeurs, les fameux Cuirassiers de Reischoffen, dont le succès fut si retentissant et si prolongé, et aussi, en même temps que Chrétienno (voir à Amiati), de l'Eldorado, et Peschard, de l'Opéra-Comique, la non moins


fameuse Alsace et Lorraine, de Villemer et Nazet, musique, superbe d'allure, vibrante, enflammée, de Ben-Tayoux, déjà très réputé comme compositeur et pianiste.

Il a depuis connu l'ivresse de nombreux succès.

L'Eldorado compte encore parmi ses artistes :

Mlle Noémie, gracieuse camarade, chantant, disant, jouant, grande utilité toujours prête à créer, à remplacer, n'importe quoi, n'importe qui.

Plus tard, passant au théâtre, elle doublera Mme Simon Girard dans les Cloches de Corneville et dans Madame Favart et fera quelques créations avec succès.
Elle s'appellera alors Noémie Vernon.

Puis Doria, le célèbre ténorino, le Capoul du café-concert. Le Figaro d'alors le dénomma Prince de la romance. Renard et Darcier prisaient fort son talent. Bientôt, il se consacrera à la composition musicale et produira de nombreux succès populaires, entre autres : La chanson des blés d'or, Mireille, La chanson des peupliers, etc.

Pour l'instant, il fait palpiter les cœurs féminins avec une romance dont tous les orgues de Barbarie et les chanteurs de cours vont s'emparer. C'est Je ne t'aime plus ! d'Alexis Dalès, musique de Laurent Léon, l'excellent compositeur qui est, depuis si longtemps, chef d'orchestre à la Comédie-Française.

Comme on demandait un jour Doria le secret du succès obtenu par ses chansons, il répondit : "Je suis un piètre musicien, mais je les fais, comme je les chantais, avec mon cœur".

Il est mort pauvre, isolé, mais toujours digne et fier.


Enfin ! me voilà donc installé, et pour de bon, dans cette loge où tous les artistes donnent un exemple de bonne camaraderie que je n'ai plus souvent rencontrée ailleurs. Que de bonnes soirées passées entre vrais amis, s'aimant, s'estimant, sans jamais l'ombre d'une jalousie entre eux ! On n'était pas triste, allez ! Il y avait un tas de traditions plus joyeuses les unes que les autres et qui ébaubissaient fort les rares visiteurs admis à franchir le seuil du salon-boudoir-lavabo-garde-robe-fumoir des artistes mâles. En usant de périphrases, je peux essayer de conter l'une d'elles, de tournure gauloise.

Les anciens avaient institué une caisse d'assistance et de prévoyance, pour les petits besoins journaliers. Partant de ce principe que si certain mot, énergique mais grossier, est excusable sur un champ de bataille, au milieu d'un carré de grognards qui ne veulent pas se rendre à l'ennemi et dont le général se sert pour dire laconiquement la garde meurt et ne se rend pas, l'usage de ce mot dans la conversation n'est pas d'une nécessité absolue ; les artistes de l'


Eldorado avaient décidé que quiconque le prononcerait serait mis à l'amende de deux sous, et de trois sous à chaque récidive. Ils avaient ainsi fondé la société des Anti-M...x.

Il paraît que la crainte des amendes ne parvenait pas à épurer le langage courant, car la caisse était prospère. On y faisait des emprunts, accordés par le caissier quand le cas était urgent : manque de tabac, note de blanchisseuse, achat de rouge, etc., etc.

Celui qui empruntait vingt sous en rendait vingt-trois, dans le délai d'une semaine. Vialla, était abonné. Moyennant trente sous par mois, payés d'avance, il avait obtenu le droit de lâcher le mot prohibé, autant de fois qu'il en aurait l'envie. Il avait calculé que ses appointements n'y suffiraient pas s'il était puni à chaque infraction au règlement. Seulement, il était charge des fonctions d'allumeur.

Il devait s'arranger, par tous les moyens possibles, à faire prononcer le fameux mot qui remplissait la caisse, par les visiteurs, camarades et auteurs. Ces derniers, qui tenaient à être bien vus des interprètes de leurs œuvres, n'hésitaient pas à payer force amendes chaque soir. Cette institution, comme toutes les bonnes choses, eut une fin.



Petit à petit, le fruit défendu devint banal ; ça n'était plus drôle ; la Société des Anti-M...x, résolut de se dissoudre.

La liquidation fut facile à effectuer : il n'y avait plus que trois sous en caisse.

À l'unanimité, on décida d'envoyer ces quinze centimes à l'œuvre du rachat des petits Chinois.

Cet acte généreux ne fut relaté dans aucun journal.

Il se peut aussi que le chargé du don ait préféré au rachat d'un petit Céleste, le simple achat d'un Londrecitos [cigare] de la Régie.


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