SOMMAIRE & NOTES

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Daubray


Plessis en Napoléon 1er

Gardel-Hervé

Julliette Baumaine

































Charles Pourny




















Marguerite Bellanger




















Émile Carré



Léon Laroche





Robert Planquette



Cantin



















Lassalle

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE XV

Plessis fait des siennes à Berlin - Daubray - Plessis-Napoléon - Juliette Baumaine - Gardel-Hervé - "Les Épiciers" - Charles Pourny - "Les Déjeuners de la Croque au sel" - Des admirateurs coûteux - Armand Ben - "Je cherche Lodoïska" - Marguerite Bellanger - Lassalle.


Il m'arrive des nouvelles de l'ami Plessis. Il a failli lui en cuire à Berlin !

Au printemps de cette année 1873, en compagnie du joyeux Daubray, ils se rendaient à Saint-Pétersbourg, pour y donner quelques représentations.

Obligés d'attendre quelques heures à Berlin, ils avaient dîné au buffet de la gare, mais si copieusement arrosé le festin que, très éméchés, ils entassaient quolibets sur plaisanteries, se gaussant des têtes de boches qui passaient devant eux (car ils étaient à la terrasse donnant sur le quai) et chantaient à haute voix des brides de couplets patriotiques fort peu louangeurs aux Allemands.

On commençait à faire un demi-cercle autour de nos lurons. Plessis était rouge comme un coq, Daubray tournait au cramoisi.

 Tout à coup, une idée géniale vient à l'esprit de Plessis.

 Il court à sa grande malle, qui attendait comme lui l'heure du départ, là, tout près, sur le quai ; il l'ouvre, en tire le costume dans lequel il faisait Napoléon, se couvre du bicorne légendaire, grimpe sur la table et, dans la pose consacrée du grand homme, s'écrie d'une voix à faire crouler le hall :

 - Un qui vous a foutu du tabac !

La foule, ébaubie, n'avait rien compris aux paroles, mais le geste, l'accent, le costume napoléonien, populaire partout, lui donnait à penser que ce n'était pas un compliment qu'elle venait de recevoir. Des murmures s'élèvent, croissent ; les bras s'étendent vers Plessis, le chef de la gare, prévenu, accourt, se rend compte de la situation et parvient, non sans peine, à persuader Plessis et Daubray qu'il faut filer au plus vite. Il les entraîne dans les salles, les cache dans son bureau ; puis, l'heure arrivée, il les fait passer inaperçus, dans le train qui les emporte, toujours chantant, ravis de leur exploit. Plessis n'ayant qu'un regret : celui de n'avoir pu faire défiler devant les Berlinois, tous les types des généraux de la République qui, à l'instar de Bonaparte, leur en avaient f... du tabac !


Louise Théo n'avait pas encore été remplacée par une équivalence à l' Eldorado. Maintenant, c'est fait.

Juliette Baumaine (voir à Baumaine et Blondelet), est venue, on l'a vue, elle a vaincu. Une grâce s'était enfuie, une autre a pris sa place.

Oh ! la mignonne, la gracieuse, l'aimable artiste que la fille du chansonnier Baumaine !

Le public la bombarde de fleurs, de bravos ; les artistes lui décochent leurs madrigaux les plus tendres, tous en sont épris... et je ne suis pas le dernier, oh ! non !

Mais les jolis cœurs en sont pour leurs frais et les poulets les plus enflammés n'obtiennent pour réponse qu'un éclat de rire argentin qui nous remet à notre place de bons camarades... que nous serons toujours pour elle.

Elle a réussi tout à fait et il en sera de même pendant tout son séjour à l' Eldorado, jusqu'à ce que les Variétés nous l'enlèvent pour débuter dans le Docteur Ox, d'Offenbach, où elle se taillera le gentil succès dont elle a pris l'habitude.


On piochait ferme à l'Eldorado, en l'an de grâce 1873 !

La direction exigeait, de chaque artiste, une nouveauté par semaine. Tous les samedis, de deux à cinq, répétition.

Or les musiciens de l'orchestre tenaient à filer à cinq heures précises, et, fiévreux, énervés, ils protestaient contre les artistes qui n'avaient pu encore passer et voulaient répéter quand même. Des mots aigres s'échangeaient de la scène à l'orchestre ; le bon Malo intervenait, grondait doucement, mais n'arrivait pas toujours à trouver l'accord parfait désiré.

Il fallait donner une opérette nouvelle tous les quinze jours. Et les morceaux d'opéra ! les quatuors ! les duos ! Car, alors, le répertoire était autrement artistique qu'aujourd'hui. On entendait le quatuor de Rigoletto,  par Chrétienno (voir à Amiati), Rivière [Anna Rivière (1810-1884) ?], Bruet et Raphaël[?]; le duo de la Reine de Chypre, par Vialla et Raphaël, ou le superbe quatuor de L. Roques, la Halte des Bohémiens, où triomphait Perrin, Vialla [?], Chrétienno (voir à Amiati) et Rivière.

J'ai fait, cette année-là vingt créations, entre autres : N'vos z'estimez pas tant dont la musique était de Gardel-Hervé, le fils de Hervé et qui, depuis, a obtenu tant de félicitations et d'articles élogieux comme acteur, comme auteur, comme metteur en scène. Un cumulard de tous les genres de succès, très sympathique et toujours sur la brêche malgré la somme de travail produite.

Et je lançai aussi Les Épiciers, de Paul Burani [1]. Cette chanson qui est devenue populaire avait été mise en musique par Charles Pourny [2], un de nos compositeurs les plus féconds de café-concert, excellent homme, disparu depuis peu.



[1]
Parolier. Auteur, entre autres, des "Pompiers de Nanterre" (avec Philibert ), du sire de Fisch-ton-Kan, de La bachelière du quartier latin et du vaudeville Madame Grégoire.

[2] Compositeur. Auteur de la musique de "I'm'a r'fusé son parapluie !!", "La dent de sagesse", "Les suites du premier lit", etc. - A également collaboré avec Claude terrasse sur des thèmes d'Alfred Jarry.



Une autre chansonnette, "Le joli boucher", me valut l'enthousiasme de tous les marchands de la Villette.

Ils me déléguèrent M. Laurent Broizat, gros marchand de bestiaux pour m'inviter à leur fameux déjeuner de la Croque au sel, réunion de toute l'élite des abattoirs, qui transforma mon succès en triomphe !

J'y retournai souvent, et plusieurs fois, accompagné par l'ami Bruet, qui avait sa part des ovations. Il y venait des grands artistes de théâtres, amis des louchébems [bouchers en argot de boucher]gaudrioleurs, entre autres Sellier et Lassalle, de l'Opéra, qui en étaient de fidèles habitués.

On y mangeait, on y buvait à faire rougir Guargantua et Falstaff ; on y riait à ventre déboutonné, les coudes sur la nappe, et, à la sortie, on zigzaguait quelque peu, éméchés pour de bon.

O le joli temps des joyeuses ripailles !

Bah !... Il en reste le souvenir... c'est encore la moitié du plaisir qu'on peut se payer à volonté. J'habitais alors à Saint-Mandé-la-Tonnelle. J'étais devenu sérieux, raisonnable (à part quelques petites bordées dans le genre de celle que je viens de conter).

Pensez donc ! J'étais papa ! Ma première fillette était née et la mignonne accaparait mes instants.

J'avais pour voisin de campagne le chansonnier Émile Carré [3], qui avec Léon Laroche [4] devint mon auteur favori de ce moment.



[3]
Parolier. Auteur des paroles de "I'm'a r'fusé son parapluie !!", de "L'amant d'Amanda", de "Les gendarmes à pied"...

[4] Parolier. Auteur de "Je me rapapillotte", de "La femme athlète" (avec Lucien Delormel), de "Je suis pocharde", de "La noce des nez", "La sœur de l'orphéoniste"...



Le soir, son tour fini, chaque artiste allait, de onze heures à minuit, au Café Français, tout à côté de l'Eldorado, dont la fréquentation était rendue fort agréable par le fils de la maison, Alphonse Brisville, joyeux et spirituel boute-en-train.

J'appris à mes dépens que toutes les admirations ne sont pas désintéressées. Souvent un de ceux qui m'avaient applaudi dans la soirée, m'apercevant, entrait, m'abordait, demandait la faveur de me complimenter et de me serrer la main. Ça flatte toujours ces choses-là.

- Comment donc ! asseyez-vous, je vous en prie.

Un soir, - j'étais encore seul - un de ces admirateurs entre, puis un autre, puis plusieurs autres.

- Que faut-il servir à monsieur ? demande le garçon.

- Comme à M. Paulus, répond chaque visiteur.

Et bientôt le garçon revient avec deux plateaux chargés de thés au rhum. Une fois sa consommation absorbée, chacun des visiteurs s'éclipse, non sans m'avoir affirmé, dans une énergique poignée de main, qu'il est plus que jamais convaincu de mon génie et... finalement, le garçon, à qui je tendais une pièce de dix francs pour payer mon thé au rhum, me dit qu'il s'en fallait encore de trois francs cinquante pour acquitter la tournée que mes admirateurs avaient décrétée obligatoire, mais pas gratuite.

Comme le renard au corbeau, je pouvais me dire : "Cette leçon vaut bien 13 fr. 50, sans doute ?" mais je n'ai guère profité de ce genre de leçons et l'esprit d'économie est encore à faire sa première apparition dans mon cerveau. 


Aux Champs-Élysées, Pavillon de l'Horloge, un artiste est en train de se tailler un joli succès avec une drôlerie qu'on chantera partout et longtemps. Cette scie est intitulée Je cherche Lodoïska. Celui qui la chante c'est Armand Ben[qui en était l'auteur des paroles, avec René Derville sur une musique de Tac Coen], le précurseur de Libert, le vrai créateur du genre gommeux, genre très démodé aujourd'hui, mais qui eut une grande vogue avec des interprètes de talent, masculins et féminins. Je suis allé l'entendre. À une petite table de la mienne, deux spectateurs causent avec animation en se montrant une dame, fort élégante, assise à quelques rangs plus bas, et j'écoute, très intéressé, leur papotage :

- "Je vous dis que c'est elle ! - Allons donc ! - J'en suis certain, c'est Marguerite Bellanger. [5] - L'ancienne de Napoléon III ? Elle-même. Celle qui avait nom Jeanne Lebœuf, le changea pour un autre plus gracieux, se fit écuyère dans un cirque de province et qu'à Paris, Meilhac et Halévy firent entrer un petit théâtre de La Tour d'Auvergne. Où les spectateurs l'emboîtèrent malgré sa  joliesse - Et d'où elle quitta la scène en criant : zut ! au public. Puis qui trouva le moyen de se faire remarquer par l'Empereur et de devenir sa maîtresse. Mais on la disait partie à l'étranger, après 1870 - Oui, en Angleterre où elle séduisit un lord qui l'épousa. Et... ? Et, elle a lâché le milord qui avait cessé de plaire pour revenir sur le terrain de ses anciens exploits - Ah ! alors à présent..."

Les deux messieurs s'étaient éloignés ; je continuais de regarder avec curiosité, celle qui avait joué un rôle si retentissant dans la pièce galante des derniers temps du second Empire.


Il paraît qu'elle s'est retirée dans un château de province, où elle a dit adieu à Satan et à ses pompes ; qu'elle est devenue dame patronnesse d'un tas d'œuvres pies et s'est éteinte dans la grâce de Dieu. Il lui sera beaucoup pardonné car elle a énormément aimé. 


[5] De son vivant (1840-1886), Marguerite Bellanger, , particulièrement après 1870, fut l'objet de caricatures et de divers cancans. Dans son journal, 7 mars 1875, Edmond de Goncourt, cite, par exemple, Flaubert racontant un "curieux épisode des amours de l'empereur avec Bellanger à Montretout : l'empereur, le chapeau de papier sur la tête, collant de son impériale main le papier d'un petit salon et des water-closets de sa maîtresse?".



Notre maître et ami Robert Planquette [6] vient de remporter son premier grand succès au théâtre avec Les Cloches de Corneville. Nous en sommes tous bien joyeux. Dame ! le succès ne s'est pas décidé du premier coup ; il y a eu du tirage. La saison déjà chaude, un public hésitant, n'ayant pas l'air de savoir qu'il entend une chose charmante. Mais les Cloches tinteront bientôt et longtemps, à tous les échos de la Renommée, le nom glorieux de leur auteur. Eh bien je crois que j'ai contribué, non à ce succès qui devait fatalement se produire, mais à son commencement. Dans une chanson, J'ons marié Thérèse, dont je parlerai bientôt, j'eus l'idée d'intercaler deux nombreux morceaux des Cloches de Corneville : j'ai fait trois fois le tour du monde et l'air du Petit Mousse. Planquette me les avait lui-même orchestrés ; or, presque chaque soir, il venait me féliciter et me remercier car, disait-il, je contribuais au succès de ses Cloches en donnant au public un tel avant-goût de l'œuvre qu'il s'empressait d'aller l'entendre aux Folies-Dramatiques. Et Cantin [6], le directeur de ce théâtre, m'en a dit autant.

Durant cent soirées, ce fut un triomphe dont j'étais bien fier, car mes auditeurs se rendaient compte que je n'étais pas seulement un comique, mais aussi un chanteur.



[6]
Pour de plus amples informations sur Robert Planquette et Cantin, le directeur des Folies Dramatiques, voir le site de la revue trimestrielle Opérette de l'Académie Nationale de l'Opérette.



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