SOMMAIRE & NOTES

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Victor-Auguste Regnard







Jules Pacra




















Émilie Garait





















Gobin



Julia Baron


















































































































Eudoxie Laurent



















































Amédée de Jallais

Paulus


Notes

Voir à Sommaire et notes pour les remerciements et autres renseignements.

Les notes sont en couleur entre crochets ( [...] ).

Les noms en gras et en couleur renvoient vers une page plus complète.


CHAPITRE IX

Regnard - Rose Mérys - Jules Pacra - Mlle Garait - Julia Baron - Au Casino de Nîmes - Dagobert - Je deviens héraut officiel - La fameuse dépêche ! - "Le Mari Mécontent" - Les suites d'une blague - Gobin - Eudoxie Laurent - Un mariage à la vapeur - Amédée de Jallais [Voir à Eudoxie Laurent].


Le café-concert continuait à préparer des artistes pour le théâtre. 

Sait-on que l'excellent Regnard (Victor-Auguste) a débuté au Concert Européen ? Il est devenu le plus sympathique des artistes, le compère idéal gobé par le public, l'inlassable organisateur-régisseur des représentations au bénéfice des pauvres et des mentons-bleus [cabotins ou artistes sans talent] arrivés au bout de la carrière sans avoir amassé le nécessaire pour leurs vieux jours. Un talent fait de rondeur. À su se faire aimer des directeurs, des auteurs et des camarades... un record quoi !

Et aussi de la belle Rose Méryss que j'ai vu débuter à Bordeaux, sa ville natale, dans un café-concert que tenait Panot, l'ancien grognard du Cirque. Plus tard, Robert Kemp père l'engagea au Théâtre-Louit, où elle chantait les Schneider. De là, elle s'en fut cueillir et des dollars en Amérique, où sa plastique superbe emballa les amateurs. Au Châtelet, elle joua les travestis, remplissant ses rôles avec grâce et ses maillots avec prodigalité.

À la gare de Lyon, avant de m'embarquer pour Nîmes, j'aperçois Pacra causant avec deux femmes élégantes, types d'artistes cossues. 

Pacra est très populaire ; c'est une des grosses vedettes du concret ; à l'Eldorado, il fait bonne figure à côté de Perrin, et sa carrière, déjà bien remplie, veut qu'on lui consacre quelques lignes. 

Jules Pacra a vu le jour à Paris en 1832. À l'âge de 13 ans, pourvu d'une instruction élémentaire, il entrait en apprentissage chez un sculpteur. Ses parents l'avaient voulu ; fils docile, respectueux, il avait obéi, mais déjà l'amour des planches le tenaillait. 

Dans sa chambrette de gamin, il s'était construit un théâtre ; le lit figurait la scène ; un manche à balai faisait le support du rideau fabriqué avec un drap de lit. Il calligraphiait des programmes qu'il exécutait le dimanche, ayant comme troupe deux bambins de son âge, devant la famille et les voisins, public émerveillé qui ne ménageait pas les applaudissements à notre héros et encourageait ainsi ses dispositions à lâcher la sculpture pour la scène. En 1848, il entre au National comme employé, et peut, en rognant sur le nécessaire, se payer les poulaillers de tous les théâtres à sa portée. Un beau jour, n'y tenant plus, il s'engage au théâtre Montmartre, à raison de trente francs par mois. Puis il court la province  ; réussit fort à Grenoble, où on l'appelait le petit chéri ; revient à Paris, au théâtre Beaumarchais. Il y crée Sidoine dans le Paradis perdu. Gros succès. Les journaux s'en occupent. 

Méry [1] dit de lui : "Il a du feu dans les yeux !"



[1]
Joseph Méry, journaliste et écrivain né à Marseille en 1797 et mort à Paris en 1866



"Un comédien de la bonne école" ajoute Édouard Thiery [2].



[2]
Édouard Thiery, journaliste (Moniteur) et ami d'Hector Berlioz 


Il entre à la Gaîté et y reste deux ans. Sa voix est jolie ; il quitte le théâtre et se fait acclamer pendant dix-huit mois au Concert du Géant

Nouvelle tournée dans les concerts de province, puis revenu à Paris, il chante et joue à l' Alcazar, au Café de France, et enfin à l' Eldorado où il est applaudi chaque soir pour sa diction impeccable et son jeu sobre et naturel. Bon camarade, il prouvera par la suite qu'il a un cœur excellent.


Pacra prenait congé des deux jolies femmes ; je m'approche et lui serra la main. Il me dit qu'étant venu accompagner un ami partant de Lyon, il avait rencontré deux connaissances de théâtre ; et comme je m'extasiais sur le chic de ces dames, il répondit : 

- Vous ne les connaissez pas ? Non ? Eh bien, la plus petite, ce joli biscuit de Sèvres animé, dont les yeux qui incendient les cœurs feraient sauter une poudrière à cent pas, c'était Mlle Garait, des Variétés. Elle a débuté aux Bouffes-Parisiens, dans les Pantins de Violette. Oh ! le joli joujou que c'était ! Joujou pour tous les âges. Elle s'y fit remarquer, même à côté d'Irma Marié [fille du chanteur Claude Marié de Lisle et sœur de Paola] qui jouait Violette.

 - Et l'autre ? 

- L'autre ? c'était Julia Baron ; le régal des lorgnettes de l'orchestre qui se braquent, gourmandes, vers les sinuosités de ses costumes, qui ne sont pas dus à des couturières habiles, mais à la seule nature généreuse. Dans la Biche au bois, à la Porte Saint-Martin, dans l'Œil crevé, aux Folies Dramatiques, elle a montré au public ravi la fermeté de son jeu... et de ses attraits. Sur ce, jeune Paulus, bon voyage !... bonne chance ! et revenez-nous bientôt.


J'étais à Nîmes, au Casino d'Été, pendant le mois de juillet 1970, et au commencement d'août. 

La guerre venait d'éclater ; les hostilités étaient commencées et pourtant les plaisirs étaient toujours au programme de l'existence, à Nîmes comme ailleurs, et les cafés-concerts aussi fréquentés que si rien n'avait changé dans les préoccupations des Français.

Lors de mon premier passage dans cette ville, à ce même Casino d'Été, on m'avait fait remarquer et je l'avais fort étudié, un abonné de la maison, fonctionnaire en retraite, ramolli, malplaisant, que tout le monde avait en exécration, car il était désagréable envers tous. Il se nommait Dégobert et on le surnommait Dagobert, à cause de sa ressemblance avec le vieux soldat d'Eugène Sue, que les illustrations du Juif errant avaient rendu familier.

Je devais ne chanter que quinze jours à Nîmes et je réservais pour la soirée des adieux, une chansonnette très comique, le Mari Mécontent

En revoyant le Dagobert en question, assis à sa place accoutumée, au premier rang, et toujours aussi grincheux, aussi antipathique, il me vint l'idée de lui jouer un tour à ma façon. 

J'avais un ami, Dalgues, coiffeur au théâtre municipal. C'était un véritable artiste, intelligent, inventif, malin comme un singe. 

- Pouvez-vous me faire le type de ce ronchonneur de Dagobert ?

Et je lui confiai mon plan. 

- Vous pouvez compter sur moi. Vous aurez un Dagobert nature ; je m'y engage. Dès aujourd'hui je travaille mon type et, foi de Dalgues ! ça sera épatant ! 

J'avais fait mes quatorze représentations sans incident notable. Mais il n'en fut pas de même pour la dernière. La Direction avait posé des affiches partout pour les adieux de Paulus. Aussi, dès l'ouverture, le jardin avait été envahi. Faute de sièges en quantité suffisante, une partie des spectateurs se tint debout. 

C'était le 2 août 1870 ; retenez cette date, elle va avoir son importance. Mes chansons du premier tour furent très applaudies. J'étais doublement heureux ; d'abord, des témoignages cordiaux du public, ensuite de penser à l'effet que j'allais produire tout à l'heure en ridiculisant ce vilain Dagobert qui, là, au premier rang, maugréait suivant son habitude, sans se douter de ce qui lui pendait au nez. On avait baissé le rideau. J'allais entrer dans ma loge quand je vis s'avancer vers moi, vivement, M. Janvier de la Motte, préfet du Gard.

Il me prit sous le bras et me dit : 

- Mon cher Paulus ! Je reçois un télégramme du Ministère à l'instant. Il contient une nouvelle importante de la guerre. Je tiens à ce que vous en fassiez la lecture à ce nombreux public qui vient de vous acclamer.

Je m'inclinai et pris le papier que me tendait le préfet.

Le rideau de releva. Le régisseur annonça que Paulus allait lire une dépêche du Gouvernement. Jugez de l'étonnement général ! Tout le monde resta muet, pétrifié à sa place ; qui assis, qui debout. On entendait voler les phalènes dans la nuit.

Et fort ému de mon rôle improvisé de héraut, officiel, je lus à vois forte la fameuse dépêche historique et puérile : 

"Aujourd'hui 2 août, à 11 heures du matin, les troupes françaises ont eu un sérieux engagement avec les troupes prussiennes. Notre armée a pris l'offensive, franchi la frontière et envahi le territoire de la Prusse. Malgré la force de la position ennemie, quelques-uns de nos bataillons ont suffi pour enlever les hauteurs qui dominent Sarrebrück, et notre artillerie n'a pas tardé à chasser l'ennemi de la ville. L'élan de nos troupes a été si grand que nos pertes ont été légères. L'engagement commencé à 11 heures était terminé à 2 heures. L'Empereur assistait aux opérations et le Prince Impérial, qui l'accompagnait partout, a reçu, sur le premier champ de bataille de la campagne le baptême du feu ! Sa présence d'esprit et son sang-froid dans le danger ont été dignes du nom qu'il porte. L'Empereur est rentré à Metz à 4 heures". 

La sensation fut énorme. La foule commentait la dépêche avec une animation toute provençale. Chacun trouvait des plans merveilleux de nouvelles victoires et de conquêtes faciles.

On dut prolonger l'entracte. Dalgues et moi n'en étions pas fâchés, ça nous permettait de nous mettre au point, de perfectionner la transformation de ma figure en celle de Dagobert. 

Dalgues avait tout bonnement fait un chef-d'œuvre. Ce ne fut qu'un cri dans les coulisses : la ressemblance était frappante. L'auteur seul n'était pas content, - en véritable artiste qu'il était, son œuvre ne le satisfaisait jamais. Sa peur me gagnait, et j'en avais une autre, étant donné le retard causé par l'incident de la dépêche.

Le Casino se trouvait en face de la gare du chemin de fer. Or, vers onze heures, chaque soir, c'était un bruit assourdissant, produit par les sifflets de locomotives en manœuvre. Ça coupait d'effets comiques, les chansons et les ritournelles et ça faisait le désespoir des pauvres artistes en scène. J'étais loin de penser que lesdits sifflets me fourniraient un surcroît de succès et un effet imprévu.

Mon tour de paraître arriva. Il faut dire que le chose avait transpiré. Quelques personnes mises au courant du complot par les indiscrétions des camarades, en avaient averti d'autres et bien des regards narquois convergeaient sur le Dagobert qui, tranquille à sa place, ne se doutait pas de ce qui allait lui arriver. L'orchestre attaqua ; je fis mon entrée. Ce fut une explosion de rires ! Tout le monde avait reconnu Dagobert... et lui-même s'était reconnu. Il s'était dressé furieux. Plus il fulminait, plus le public trépignait d'aise. 

Je chantai la chanson : le Mari Mécontent

Dès le commencement et juste sur un mot comique, un coup de sifflet strident part de la gare. Un mouvement d'effroi me fait faire une brusque volte-face grotesque que le public croit préparée et applaudit à outrance. L'effet est prodigieux ! Voyant ça, je le renouvelle à chaque coup de sifflet. C'était le délire ! On se tordait ! Le Dagobert de la salle interpellait furieusement celui de la scène. Je lui répondais en redoublant de verve ; au lieu de refrain : Ils voyaient bien que j'n'étais pas content ! je disais, en désignant mon bonhomme du doigt : Vous voyez bien que je n'suis pas content !

On n'entendit guère tous les complets. On riait trop ! Je mis plus d'une demi-heure à chanter cette chanson. On ne voulait plus me laisser sortir de scène. Je rentrai dans ma loge, triomphant, acclamé.

Le coiffeur Dalgues et les amis m'y attendaient, joyeux du bon tour joué au bonhomme détesté. Nous étions en train d'échanger des congratulations et de les arroser de champagne, quand un bruit effroyable retentit à la porte. Le Dagobert était là, escorté de deux gendarmes qu'il avait requis afin de procéder à mon arrestation immédiate.

- Vous saurez, monsieur, qui je suis ? vociférait-il.

C'était, paraît-il une grosse légume dans le pays, quelque chose comme un directeur de la Régie ou de l'Enregistrement, en retraite.

Dalgues et moi n'étions pas trop rassurés. Nous nous demandions si nous n'avions pas outrepassé de beaucoup le droit de blaguer nos semblables. Les gendarmes hésitaient, ne sachant que faire. Heureusement, une grande partie du public accourut sur le lieu de l'altercation et protesta contre les prétentions du Dagobert exaspéré. L'apaisement ne se fit qu'à l'arrivée précipitée de M. Janvier de la Motte. La préfecture se trouvait tout à côté du concert, et l'aimable préfet, à qui était allé raconter ce qui se passait, venait en hâte à mon secours. Le Dagobert n'osa pas insister et se retira, furibond. 

M. Janvier de la Motte me conseilla tout bas de clore définitivement ce scandale en partant dès le lendemain matin, puisque mon engagement était terminé. Je suivis le conseil, qui était sage, car le Dagobert aurait pu me chercher pouille devant les tribunaux et je ne pouvais pas me chanter : En mon bon droit j'ai confiance ! 

Je partis donc le lendemain, en rendant à la direction le service de la débarrasser de cet abonné désagréable, car il paraît qu'il n'osa plus remettre les pieds au casino de Nîmes. 


Je disais plus haut que le concert prépare des artistes pour le théâtre. Parfois c'est du théâtre qu'ils viennent au concert. 

Tel fut le cas de Gobin, le célèbre queue-rouge  [3] des féeries. Il avait débuté au théâtre de Montmartre, sous le nom de Bingo. Il ne fit qu'un court séjour parmi nous et retourna sur les scènes, dites sérieuses.



[3]
Paillasse grotesque dont la perruque est nouée par un ruban rouge.




Et aussi la belle Eudoxie Laurent, qui, pendant la saison de 1869, a été l'étoile de l'Alcazar d'Été. Alphonse Lemonnier racontait ainsi cette fugue de l'excellente artiste : "Après avoir passé par le Palais-Royal, les Variétés, la Porte-Saint-Martin, les Folies Dramatiques, l'Ambigu, Cluny et Déjazet, elle entra à l' Alcazar avec des appointements splendides. Les appointements d'un général de brigade. Il est vrai de dire qu'elle est le général de brigade des jolies femmes de l'Alcazar".

Elle a épousé l'aimable vaudevilliste Amédée de Jallais [voir ci-dessous]. C'est à Bougival, en France, que la chose s'est passée. 

Un jour qu'il faisait très beau, Eudoxie dit à Amédée : 

- Qu'allons-nous faire aujourd'hui ? 

- Allons pêcher, dit Amédée.

- Non, ne pêchons plus (répliqua Eudoxie) et marions-nous. 

Ce qui fut dit fut fait. Quarante-huit heures après, la charmante artiste disait oui devant le maire de Bougival, ayant pour témoins de son bonheur MM. Paul de Cassagnac, Eugène Déjazet et Paul Avenel qui chanta au dessert le Pied qui r'mue, tandis que les mariés s'éclipsaient... pour aller prendre une friture ; car Eudoxie Laurent est la première pêcheuse à la ligne de Bougival.

Le nom d'Amédée de Jallais [Amédée Fontréaux de Jallais - Voir à Eudoxie Laurent], le fécond et spirituel vaudevilliste, toujours debout, toujours jeune et souriant, toujours sympathique, toujours élégant, reviendra souvent sous notre plume, en contant les gros succès de l' Eldorado.

 

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