CHAPITRES
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PRÉFACE DE CHARLES LE GOFFIC

PREMIÈRE PARTIE :
MON ENFANCE
Ma première chanson
L'ogre
L'étang noir
A Dinan-la-Jolie
Un "intersigne"
Les "tape-fer"
La Forêt enchantée
Les loups
Le départ
Parisien !
Nostalgie
"Mut'-ou-Cor, ?"
"Aide-toi..."

DEUXIÈME PARTIE :
MA JEUNESSE
Sur le trimard
La faute
Dans la basoche
Devant Victor-Hugo. - Chez Henri Becque
Débuts... dramatiques
Premiers refrains. Premiers bouquins
Au 41ème

TROISIÈME PARTIE :
MES VRAIS DÉBUTS
La mort de grand'maman Fanchon
Antoine et Scriwaneck
Un soir de fête
"Il ne faut point dire : Fontaine"
"Monsieur l'Aumônier"
L'ouverture du "Chien Noir"
La "Paimpolaise"
Chansonniers et poètes
Mes vrais débuts
Au Port-Blanc
Les "bons camarades"
Les "Chansons de chez nous"
La chanson "au quartier"
Le "Prince"

QUATRIÈME PARTIE :
EN TOURNÉE
La "Fleur de Lys"
A la Haute-Cour (Le Serment)
En escadres - Chez Pierre Loti


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Théodore Botrel


Première partie

Chapitre six

Les "tape-fer"


Oui donc ! C'est d'eux encore, les vaillants forgerons, que je veux vous entretenir une dernière fois, chers lecteurs. Que voulez-vous ? Je suis leur fils, et, loin d'en rougir, je m'en glorifie hautement.

- Nous sommes de bien pauvres gens - nous disait, jadis, en souriant, mon père mais, levez toujours fièrement la tête en marchant dans la vie, mes enfants, car vous êtes les petitsfils de deux Maréchaux de France.

- De deux Maréchaux de France  ... disions-nous, éblouis, mon jeune frère et moi.

- Oui, sûr !... votre grand-père maternel n'était-il pas Maréchal... des Logis dans la Garde Impériale et votre aïeul paternel Maréchal... ferrant, au pays de Duguesclin ?

Au pays même de Bertrand, c'était vrai. Le château de la Motte, où naquit le héros, n'était éloigné de Broons que de quelques centaines de mètres ; et il me plaît de songer qu'un forgeron de mes ancêtres referra, sans doute, bien des fois, les chevaux des familiers du fameux Connétable. D'aucuns, même, les devaient suivre aux combats. Feuilletez les "montres de guerre" de l'époque et vous y verrez que lorsque l'on convoquait "l'ost" il s'y trouvait, toujours, des Botherel, des Bothrel, des Boterel et des Botrel. L'orthographe n'y change rien : l'origine du nom est identique.

Noblesse d'enclume, quoi !", dira-t-on. Pourquoi pas ? Elle en vaut bien une autre. Est-il plus rude et plus vaillant métier ? Je n'ai jamais pu voir, pour ma part, un "tape-fer" au travail, demi-nu, rougeoyant dans le clair-obscur de sa forge embrasée, sans en tressaillir d'admiration... (Et j'ajouterai même que - de l'avoir tant respirée étant petiot -- l'odeur de la corne brûlée m'est toujours agréable aux narines.) Oui, quel métier noble et sain ! Ce bruit du lourd marteau qui danse sur l'enclume n'est-il pas, pour vous tous, un joyeux enchantement, lorsque vous traversez un doux village de France ? Un métier sain... et saint aussi : n'est-ce pas le forgeron qui, sonne, chaque matin le premier Angélus - celui du Travail - avant même que le bronze sacré n'ait lancé à travers l'espace sa pure et tendre Salutation...

Ma petite forge s'allume
Dès le soleil levant
Et pan ! pan ! pan!
Hardi là sur l'enclume ! ...

Avant que le sonneur paraisse,
Je vas déjà sonnant
Et pan ! pan ! pan !
Pour la première messe ! ...

(Les chansons de la veillée)

Mais, toute cette "noblesse d'enclume" ne résidait pas à Broons. Pour ne pas se faire concurrence - car un seul maréchal-ferrant-charron suffit à la besogne en nos petites bourgades -- mes oncles, leur apprentissage terminé, devaient prendre du large ; et c'est pourquoi, il y eut tant de Botrel de ma lignée essaimés un peu partout : à Caulnes, à Dinan, à Quédillac, à La Polka, au Crouais, au Parson, à Saint-Ouen, à Irodouë r, à Iffendic, que sais-je ? A Rennes même il en existe deux encore, le père et le fils, aux Forges de l'Etat. Un autre, "l'oncle Ange", celui de tous que j'ai toujours le plus particulièrement aimé, habite, lui, à Mue-1. La petite forge qu'il occupe à présent fait face au bâtiment, plus vaste, qu'il occupait jadis de l'autre côté de la route et dans lequel je passai bien des mois de ma petite enfance.

Je l'entends encore me dire :?

- Quand je m'ennuyais trop de toi -- car tu fus le premier poupon de ma famille - je prenais le prétexte d'envoyer des légumes ou des fruits à ta grand-mère, au Parson... et je te rapportais, toi, à Muel, pour t'y garder des huit et des quinze jours au grand désespoir ,de la petite tante Lalie qui fut ta nourricière. Ah dame ! je n'avais, pas le temps, bien sûr, de t'aller surveiller dans la chambre d'en haut, ni de t'y monter tes petits biberons ! Aussi, dès que tu te réveillais, je t'installais dans le "trou de trempé"...

Le "trou de trempé", chers lecteurs, est cette excavation remplie d'eau que l'on voit sur le côté droit du foyer de toutes les forges campagnardes et dans laquelle, rougie à blanc, la pièce de fer ou d'acier est rapidement plongée avant de passer sur l'enclume.

"J'en avais, au préalable -- continuait-sil -- remplacé l'eau par du bon foin sec et cela te faisait un petit berceau bien confortable. Quel joli petit "boudet" tu faisais, là-dedans ! Un Jésus dans sa crèche, autant dire ! ..."

(C'est à cette anecdote que je fais allusion dans mon "chant des Forgerons" [Les chansons de Jean-qui-chante]

Enfant, j'ai dormi dans la forge
Près du foyer, sur du bon foin,
En brave petit rouge-gorge
Que l'orage n'effraye point...)

"... Et fallait voir comme les allées et venues du gros souflet t'intéressaient ! Tu tendais vers lui tes petites menottes, impatient déjà de le tirer à ton tour, ainsi que tu le fis souventes fois plus tard, suspendu à la chaîne qui, en remontant vers le plafond, te soulevait de terre comme un petit sonneur de cloches..."?

(Ainsi que le Cyclope antique
Forgeant la Foudre au cœur des Monts,
J'ai souvent, d'un geste rythmique,
Du soufflet gonflé les poumons.)

"...Mais ce qui t'amusait par-dessus tout, c'était le martelage. Au lieu d'en avoir peur, tu riais aux étincelles, tâchant de les saisir quand elles crépitaient jusqu'à toi ; et plus nous tapions dur et plus tu criais d'aise en agitant tes petits bras en cadence, tout comme si tu voulais nous battre la mesure ! ..."

Oui, tout cela doit être vrai, mes braves "tape-fer". C'est loin, si loin déjà... mais je crois, cependant, m'en souvenir un peu?

J'admirais vos robustes tailles
Lorsque vous alliez soulevant
Les lourdes pinces, les tenailles,
Les "masses-à-frapper-devant",
Du fer rougi meurtri par elles
Des éclairs s'envolaient, joyeux
J'en ai gardé les étincelles
Pour l'éternité dans les yeux !

Mes autres jeunes oncles -- Emmanuel, Théophile alors en apprentissage, Émile, tous, agissaient de même : et l'on me promenait ainsi de forge en forge, de chaumière en chaumière, huit jours chez l'un, quinze chez l'autre. Inutile de vous dire que, plus tard, dès que je fus un peu grandelet, je m'y invitais moi-même et surgissais chez eux toujours à l'improviste, certain du bon accueil, prenant goût ainsi dès l'enfance à mon futur métier de baléer-bro et de klasker-soniou ("Batteur de pays", "chercheur de sônes") qui devait faire de moi celui que l'on surnomme le "Chemineau de la Chanson".


Suite : Première partie, chapitre sept - La forêt enchantée

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