TABLE DES MATIÈRES
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Prologue
Après la guerre 1870
Dans les affaires
Dernier souvenir de mon père
Le débat du ventre
Deux hommes passèrent
Adelina Gaillard
Théâtre des Boulevards
Mon audition - L'Eldorado
Débuts au Casino de Lyon
Débuts à l'Eldorado
Éden-Concert
Ma silhouette définitive
Liège et la "Pocharde"
Le Moulin Rouge
Le Divan Japonais
Le Concert Parisien
La Bodinière
Le Nouveau Cirque
A la Scala
Comment j'ai compris Bruant
L'Horloge
Les Ambassadeurs
Une soirée chez l'éditeur Charpentier
Mon répertoire
Les journaux et les journalistes
Ma seconde carrière
Portraits
Jean Lorrain - Goncourt
Sarah Bernhardt
Le Prince de Galles
(futur Édouard VII)
Toulouse-Lautrec
Pierre Loti
Jules Roques
Maurice Donnay - Forain
Eléonora Duse
Deux cardinaux :
Le cardinal Mercier et le cardinal Dubois

Récompenses
A travers le monde
Épilogue

Yvette Guilbert


Épilogue

A DIEU !

Pour satisfaire ma foi et ma conscience, il me faut d'abord, et avant toute chose, remercier Dieu... Ma destinée fut son ouvrage - mes luttes me furent utiles pour apprécier mieux mes victoires. Dieu se manifesta sous toutes les formes, dans toutes les années de ma vie, et depuis ma naissance, il me combla de nombreuses joies et de nombreuses peines, en un mot il me permit de "vivre" la vie, bellement, d'en connaître toutes les nuances, toutes les phases, et combien je remercie Dieu de n'avoir point fait de moi un être "exclusivement" heureux !

Combien je lui sais gré de m'avoir fait connaître le goût de la douleur et celui des larmes, de m'avoir permis d'endurer les tortures physiques du corps, celles du cœur, et d'avoir déposé en moi la facilité de pleurer sur les malheurs dos autres, û force d'avoir dû pleurer sur les miens ; ce sont les luttes et les douleurs de ma vie qui firent l'ultra sensibilité de mon cœur. Ah ! comme j'ai tremblé d'émotion pour moi, pour elles, pour eux, pour tous, pour toutes ! Quelle joie trouble inexplicable... si forte, si étrange de sentir qu'on a, dans sa poitrine, tous les cœurs de la terre !

Ceux qui ne vécurent que leur vie ne peuvent me comprendre ! Mais ceux qui, comme moi, ont intensément senti la joie et les douleurs du prochain s'y sont plongés... et baignés, ont dû reconnaître la volonté d'un Dieu enfermée dans leurs âmes... et cela créa en moi des minutes si supérieurement belles, que ce n'est point seulement de ma vie que je dois remercier Dieu, mais de toutes ses vies vécues et partagées dans l'enthousiasme de l'amour du prochain.

Que de fois, dans mes élans sensibles, n'ai-je pas crié : merci ! merci ! mon Dieu, de permettre qu'en moi, la laide "indifférence" n'habite pas ! Merci, merci, de permettre à mon cœur d'aller vers tous les cœurs et à ma pitié d'être immense ! Merci, merci d'avoir mis sur mon chemin des égoïstes... des cruels et des ingrats ! Merci de n'avoir pas exaucé toutes mes prières, car je vous en fis de folles !

Pardon d'avoir douté de vous et suivi les conseils d'un cœur ignorant (celui de mon père), mon extrême jeunesse fut et reste une excuse à ces toutes premières années de mon enfance d'où la foi fut exclue...

Que de fois depuis j'ai compris le crime d'ingratitude commis envers vous !

Vous qui avez permis que mes yeux vissent la lumière ! le soleil ! la nature !

Que mes oreilles ne soient pas sourdes aux bruits fabuleux de la vie !

Que la parole me fût facile, que mes membres fussent harmonieux, enfin qu'aucune infirmité ne fît de ma venue au monde une calamité !

Comme j'aimais le travail, vous m'avez donné le courage ; comme j'aimais les arts, vous m'avez donné les possibilités d'en jouir.

Tous mes efforts d'ouvrière d'abord, et d'artiste ensuite, furent souvent contrariés, cahotés ; mais toujours, et cela grâce à vous, j'avais l'assurance d'arriver à mon but. Mes fors venaient du ciel et j'en sens, plus que fortement, la divine influence.

Je vous remercie donc, ô mon Dieu, plus sincèrement des luttes et de la misère que vous avez mises sur mon chemin, que des joies et des succès de ma vie, car elles fortifièrent mon âme, élevèrent mon cœur et facilitèrent mes vertus. Sans ces misères, je serais peut-être égoïste connue tous ! Je ne crois pas qu'on puisse se sentir exceptionnelle sans le baptême de la douleur, qui donne la volonté d'amour envers tous et permet l'approche divine.

Merci surtout, ô mon Dieu, d'avoir permis qu'un "compagnon" si longuement, si douloureusement cherché, se soit enfin présenté au tournant de mes chemins d'épreuves et m'ait offert la belle et paisible coupe de son cœur pour y boire le bonheur ! Que ce jour-là fut magnifique... et quels cantiques mon cœur vous chante depuis trente ans, ô mon Dieu ! Quelle union fut jamais plus parfaite, quel mariage fut jamais plus miraculeux ? Quelle récompense ce fut, pour un pauvre être tendre, sensible et si martyrisé par la vie. Oui, c'est à vous, Seigneur, qu'il me fallait adresser ces lignes de souvenirs reconnaissants puisque, mon Dieu, mes luttes et mes victoires furent votre ouvrage!


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